Depuis quelques semaines déjà, Vassil avait un mauvais pressentiment, l'angoisse le rongeait constamment de l'intérieur, comme si tout allait s'effondrer autour de lui d'un moment à l'autre. Lucius et Aleister avaient tous les deux disparu pendant deux mois qui lui avaient paru des années.

Les premiers jours, Vassil ne s'était pas trop inquiété – même s'il avait mal pris le fait qu'aucun des deux ne le prévienne de leur départ imprévu – ils étaient sûrement parti en cavale, récupérer un quelconque artefact ou trucider une quelconque personne qui leur aurait causé du soucis. Une mission à laquelle le jeune lutin n'aurait pas pu participer, puisqu'il savait à peine se battre et que ses pouvoirs, hé bien, étaient tout à fait inutiles.
Il avait trouvé le moyen de s'occuper, il en trouvait toujours un, en vadrouillant un peu partout dans le manoir où ils résidaient. Il y avait toujours des choses à découvrir, où qu'il aille. Mais au bout d'une semaine, l'inquiétude s'était fait sentir. Aucun de ses deux amants n'était revenu, et il avait commencé à cogiter. Tout d'abord, parce qu'il lui semblait qu'on le regardait souvent de travers, comme si il n'avait plus rien à faire ici puisque Lucius n'était plus là. Après tout, il n'était qu'un vagabond recueilli par le prince, même pas un noble  qu'on aurait autorisé à résider ici.

Au bout de dix jours, Vassil s'était demandé si Lucius et Aleister ne l'avaient pas tout simplement abandonné. Ils s'étaient peut-être lassés après tout. Ils avaient tous les deux plus en commun que lui avec eux. Ils savaient se battre et n'étaient en aucun cas autant casanier que lui. Le farfadet avait retourné toute la chambre du prince à la recherche d'une lettre qu'il aurait pu rater, d'un journal intime dans lequel l'un des deux aurait exprimé son dégoût envers lui (plutôt Lucius, Aleister n'avait pas trop une tête à tenir un journal intime, quoi que.)

Il avait longuement hésité à partir à leur recherche, mais ne savait pas du tout par où commencer. Et puis, s'ils ne voulaient plus le voir, il ne les trouverait jamais. Alors il s'était demandé si il ne ferait pas mieux de partir, mais il avait eu la jugeote de se dire que, après tout, même s'ils l'avait laissé tomber, il pourrait bien continuer de profiter du confort de la chambre du prince jusqu'à ce qu'il revienne. Là ils pourrait s'expliquer.

Vassil avait finalement pris la décision de demander de l'aide, et s'était dirigé vers le lieutenant de Taraske. En fait, il lui était tombé dessus plutôt qu'autre chose, et comme il était plutôt agréable à regarder, il avait décidé de partager sa compagnie aussi. Basil était un homme plutôt sympathique, et le farfadet avait grand besoin d'être rassuré par quelqu'un, ils avaient donc passé presque deux mois collés l'un à l'autre, et les recherches n'avaient mené absolument nul part. En réalité, il n'était même pas sûr que Basil se soit donné la peine de le chercher. Le seul qu'il avait vu s'activer, c'était Rozen. Mais le Condé ne lui avait donné aucune information. Et furieux comme il avait l'air à chaque fois qu'on mentionnait le nom de Lucius, il n'avait probablement pas trouvé grand chose.

Heureusement, Lucius était revenu avant que Vassil ne se pose encore plus de questions et ne se demande si il ne ferait pas mieux de tourner la page. Et pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Vassil avait craint pour sa propre sécurité lorsque le prince l'avait surpris en plein acte avec Basil. Il ne s'attendait pas à le revoir (de sitôt en tout cas), ni au regard noir qu'il lui avait lancé, et encore moins à son... changement.

Ce n'était pas que physique, même si à présent il trouvait Lucius beaucoup plus impressionnant, il semblait aussi beaucoup plus mature. Presque fatigué, par moment. Mais il ne lui avait encore parlé de rien en ce qui concernait son absence à lui et Aleister. En fait, il s'était contenté de reprendre là où ils en étaient avant qu'ils ne disparaissent. Ça avait été presque comme si rien n'était arrivé, sauf qu'Aleister n'était pas là, et Lucius avait semblé comme désespéré de le revoir. Pour la première fois de sa vie, Vassil avait eu l'impression que l'on se raccrochait à lui.

Tous les deux avaient commencé à rattraper le temps perdu d'un point de vue physique. Mais à part coucher ensemble, ils n'avaient pas vraiment parlé, et il n'avait pas osé lui demander ce qui avait bien pu arriver. Ni pourquoi Aleister n'était pas encore rentré.


Vassil avait dormi comme un loir pendant une grande partie de la nuit, épuisé par toutes ces émotions, et lorsqu'il ouvrit les yeux il était seul dans le lit du prince. Son cœur se serra à l'idée qu'il l'avait encore laissé. Ou peut être était-il allé chercher Aleister? C'était possible aussi. Décidant de commencer sa journée aussi positivement que possible, et avec une pointe d'espoir, le jeune farfadet arracha presque les draps du lit dans lesquels il était enroulé et se dépêcha de s'habiller après une toilette rapide. Vite, il piocha dans l'armoire du prince pour en tirer une chemise blanche qui était presque à sa taille, un pantalon qui ne tenait sur lui que grâce à une ceinture du prince à laquelle ils avaient dû faire ajouter des trous.

Il allait se recoiffer lorsqu'on ouvrit la porte. Tant pis, Vassil n'avait pas besoin d'avoir une tignasse parfaite pour plaire de toute façon. Il se tourna vers l'entrée pour n'apercevoir que Lucius. Le prince semblait plus morose que jamais, alors le farfadet choisit de ne pas montrer sa déception quant à l'absence de son deuxième amant et adressa un sourire rayonnant au mage. Il voulait à tout prix le réconforter, il n'aimait pas le voir ainsi.
Vassil se rassit sur le lit et commençait à déboutonner sa chemise quand le prince se saisit de ses poignets avec une fermeté à laquelle il ne s'attendait pas. Rien de violent ou brutal, mais il ne pu masquer sa surprise et le fixa avec des yeux ronds. Il avait espérait qu'il serait plus tendre après avoir été éloignés aussi longtemps, il ignorait pourquoi. Ou peut-être était-il toujours inquiet parce qu'il était lui même allé voir ailleurs et s'en voulait. Après tout, il avait toujours aimé que ses deux amants montrent leur côté possessif, et il ne craignait pas de se faire malmener un peu, il leur faisait tous les deux confiance.

Vassil se laissa déshabiller par le vampire, et un frisson de plaisir le traversa lorsqu'il sentit ses mains, ses lèvres sur sa peau. Ça lui avait manquer, de se faire toucher ainsi.

“Dis moi, Vassil, tu ne prévoirais pas de te faire mon cousin, hm ? Parce que c’est un vrai rabat joie. Et je suis bien plus riche que lui.”

Le farfadet rouvrit soudainement les yeux et s'écarta pour l'observer d'un air curieux. De qui est-ce qu'il parlait, Roman von Dast? Mais enfin, il ne se souvenait même pas lui avoir adressé la parole. En plus, il avait toujours l'air dépressif. Pourquoi irait-il vers lui de toute façon? Ce qui l'étonna encore plus, ce fut la dernière remarque du prince. D'accord, il aimait vivre dans le luxe, mais est-ce qu'il croyait vraiment qu'il n'était là que pour l'argent? Ils n'avaient jamais parlé de leur relation, alors il choisit de ne pas se vexer. Même si l'idée que le prince soit persuadé qu'il n'était là que pour l'argent lui déplaisait au plus haut point.

Une douce chaleur l'envahit alors que Lucius l'enlaçait, utilisant son pouvoir sûrement pour les détendre tous les deux. Vassil adorait avoir chaud, même si il était déjà une bouillotte ambulante, il ne disait jamais non à une source de chaleur en plus. Il se détendit aussitôt et passa ses bras autour du cou de son amant, qui semblait sur le point de s'effondrer. Bon sang, qu'est-ce qu'il avait? Est-ce qu'il était tombé malade?

“Aleister ne reviendra pas ce soir. Il ne reviendra sans doute pas avant un moment. Peut-être pas du tout. Je ne suis plus sûr de rien.”

“Quoi?”

L'émotion soudaine manqua de l'étrangler, et il n'était pas sûr que le son de sa voix était sorti correctement. Cette fois-ci, il s'écarta pour dévisager son interlocuteur, les mains tendues pour maintenir une distance entre eux deux, afin qu'il puisse le regarder dans les yeux. Il voulait paraître déterminé, ou en colère. Mais tous ses membres tremblaient comme si on venait de le plonger dans l'eau glacée d'un lac.

“Comment ça il ne reviendra pas ? Où il est ? Pourquoi est-ce que tu l'as laissé par-”

Il étouffa un sanglot inattendu et baissa la tête.C'en était trop pour lui. Il avait attendu après eux pendant des semaines, et Aleister ne daignait même pas venir le voir. Il lui fallut quelques minutes pour se calmer, toute la tension qui avait monté en lui se déversant sur son visage sous forme de larmes ridiculement pailletées. Il les voyait s'écraser sur le tissu de son pantalon et détestait ça. Même dans la tristesse il se trouvait ridicule.
Quant il se sentit enfin prêt, il prit une grande inspiration, sécha ses larmes et s'assit en tailleur sur le lit avec un regard déterminé, invitant le prince à le rejoindre sur les couvertures.

“S'il te plait Lucius explique moi. J'ai cru... J'ai cru que vous étiez morts. Pire ! J'ai cru que vous étiez partis à cause de moi !”

S'il pouvait faire quoi que ce soit pour le faire revenir, Vassil était prêt à bondir du lit pour aller chercher le démon. Mais si c'était faisable, Lucius l'aurait déjà fait, non? Il détestait cette situation, il détestait ne rien savoir et ne rien pouvoir faire. D'habitude ça l'arrangeait bien, mais pas cette fois.

“On devrait aller le chercher tout de suite.”