Coming downArc 1 - Fake Love
will you take care of me ?    Croyez-vous que le passé puisse rattraper un homme au galop alors qu’il se croit hors de portée ? Taesch, lui, le pensait fermement. Il en était même persuadé. Voilà pourquoi, quand Yvan était revenu après qu’il eut refusé sa demande en mariage, il avait essayé de faire en sorte qu’ils puissent être amis, d’apaiser les tensions. Il ne voulait plus entendre parler de lui, cependant, et Taesch sentit bien que cela finirait bien par le rattraper, comme un train lancer à pleine vitesse.
La politique de confidentialité de la Grange aux Oies était claire et permettait à tous les clients de garder un anonymat complet. Ainsi, Taesch ne connaissait le nom que de trois de ses clients, précisément ceux qui l’avaient demandé en mariage. Mais n’importe qui aurait reconnu le très beau, très fier et très puissant prince noir. Même si Taesch ne l’avait pas vu de près, le profil du prince était imprimé sur un certain nombre de pièces en circulation. Et il était fidèle, au sourcil froncé près.
La dernière fois qu’ils s’étaient vus, Taesch n’avait pas l’apparence d’Aleister et il n’était pas lié à ce foutu invocateur de démon. A ce moment, Yvan avait prétexté ne pas pouvoir le voir parce qu’il devait partir pour enquêter sur des phénomènes paranormaux. Il commençait à croire que le destin lui en voulait personnellement.
Ce qui le terrifiait le plus dans cette entrevue, c’était que Taesch pourrait bien accepter de s’allonger sous lui, de subir ses caresses, ses baisers sans ciller, sans penser à user d’illusion. Malgré les années, sa peau était encore brûlante de désir à la simple vue des mains expertes et de la bouche si lubrique de son ancien amant. Il frémissait à chaque fois qu’il se léchait les lèvres alors qu’il réfléchissait à un problème de guerre ou qu’il écoutait un conseiller parler. Ses cuisses se resserraient automatiquement quand il le regardait.
Lorsqu’Yvan posa un premier pied dans sa chambre, le temps sembla se figer. Taesch avait envie de le supplier de le prendre, de tomber à genoux, les mains dans le dos comme il l’avait si souvent fait quelques années auparavant. En temps normal, il pouvait se contrôler, dominer ses bas instincts et ses quelques gros frissons, mais en temps normal ils n’étaient pas dans une chambre partiellement éclairée et équipée d’un lit très confortable.
Et puis, la porte claqua et Taesch se souvint alors qu’il n’était pas le prince à la réputation sulfureuse, ce soir. Il était Aleister, ou plutôt Prince, un simple prostitué qui n’était pas censé se souvenir des mouvements qu’Yvan pouvait exécuter en lui de ses doigts agiles sans même y penser. Et peu importe ce que cela lui coûterait, il devait se comporter comme un simple prostitué, respectant scrupuleusement la politique de confidentialité de cette maison de passe.
Il s’avança d’un pas et sourit doucement. Le visage d’Yvan était sombre, même s’il était éclairé. Un million de petites lampes étaient suspendues au plafond. Elles contenaient chacune quelques lucioles qui brillaient faiblement mais certainement.
Taesch douta une seconde qu’il puisse s’agir de son amant d’autrefois. Avec l’âge, parfois il pensait devenir fou ou sénile. Les noms, informations et visages se mélangeait en un méli-mélo absolument informe. Mais non, c’était bien lui. Et Taesch, malgré le contrôle qu’il tenta de garder sur lui, sentit monter une bouffée de chaleur en lui. Avait-il eu une dure journée ? Allait-il le plaquer contre un mur et lui arracher ses vêtements pour le prendre sans retenue ?
Taesch éclata de rire quand le prince eut fini de parler. Il essuya même une petite larme. Il n’avait pas exactement le corps d’un humain mais même lui en était venu à le croire. Et les humains pleuraient si facilement. Une fois qu’il eut dégagé son visage de cette larme importune, il sourit doucement à son faux client.
“C’est donc pour cela que ces types en costume noir traînent dans le quartier depuis deux semaines. Je pensais bien que j’avais reconnu des vêtements de trop bonne qualité pour venir d’ici.”
Une douzaine de seconde passa avant que Taesch ne s’assoit sur le lit. Si son apparence extérieure était celle de l’humain d’Aleister, quelques courbes ne pouvaient être cachée sous une illusion qui l’épuisait autant. Ses cuisses, par exemple, étaient bel et bien les siennes. Il croisa les jambes pour tenter de dissimuler quelque chose qu’Yvan aurait pu reconnaître et sourit doucement.
“Je ne mentirai pas. Je ne suis pas de ce monde-ci. Mais depuis quand empêche-t-on un honnête incube de faire son travail convenablement ?”
Ce n’était pas tout à fait un mensonge. Il n’était pas né dans ce monde-ci et sa mère était la reine des démons de plaisir, ce qui faisait de lui en partie un incube.
“Mais je ne fais de mal à personne. Je ne fais que du bien.”
Il essayait de ne pas laisser transparaître son inquiétude mais en réalité, cette histoire le travaillait. Des invocations illégales dans sa ville et il ne pouvait pas s’en occuper ? Bon sang, où était cet enfoiré d’Aleister ?
©️ Justayne

Coming downArc 1 - Fake Love
i'll be a better man today ...    Taesch regardait avec insistance le set de vaisselle de salle de bain posée sur sa commode. Il cherchait le moindre défaut dans le grès de la bassine pour se détourner de tout ce que dégageait Yvan. Colère, frustration... un peu de désir. Est-ce qu’il aurait aimé le baiser ? Taesch aurait aimé, lui, sans aucun remords. Il avait oublié à quel point Yvan pouvait être différent quand il était avec les autres. Avec Taesch, à la Cour, il n’était que manœuvre d’évitement et piques glaciales mais oh, les autres avaient droit à sa colère, dans toute sa chaleur et son ampleur.
La journée approchait doucement et il aurait sans doute mieux valu qu’ils se préparent tous deux à aller au lit mais Yvan n’était pas du genre à se coucher tôt quand quelque chose du genre lui provoquait de la colère. Des invocations, illégales de plus. Non, Taesch n’était pas content du tout. Est-ce que son maître possédait plusieurs pions, comme Aleister ?
Taesch avisa, après le pot en grès, la vipérine en pot que son précédent client lui avait offert. Très belle plante, elle pouvait aussi se montrer terriblement dévastatrice. S’il avait la possibilité de la réduire en poudre et de la mêler à un alcool, il aurait pu endormir Yvan et le faire renvoyer au château mais ce n’était pas la solution la plus discrète. Quel cauchemar ! Il avait espéré durant bien des années qu’Yvan lui pardonne et voilà qu’ils se retrouvaient dans une situation des plus tentatrices ... Et Yvan ne savait même pas que c’était lui.
Le vieux vampire se souvint à ce moment qu’il avait fait la bêtise de porter le même parfum qu’à la cour. Oh, rien qu’un mélange de pomme, de cannelle et de musc blanc. Il avait ajouté la touche de cannelle lui même et on lui disait que son odeur rappelait celle d’un membre de la Cour. Bien sûr, il avait fait cela pour attirer plus de clients, dans l’espoir de tomber sur celui qui devait venir le voir, selon le Maître. Mais Yvan pourrait le reconnaître et s’énerver encore plus. Il décida de s’éloigner rapidement de lui.
Il se souvenait encore de cette terrible nuit où il avait rejeté brutalement Yvan, pour leur épargner plus de souffrance à tous les deux. ‘Non ! Ne me suis pas !’ La voix d’Yvan était si brisée ...
Son visage éploré, qui évoquait la plus triste des romances, avait bel et bien changé quand il était revenu de Makaroff. Taesch savait que la transformation d’Yvan avait ravi Ludwig von Hochen et cela avait été la cause de leur dispute la plus violente. Tous les hommes de sa vie avait rêvé de le posséder, encore et encore. ‘Tu es mien’. C’était toujours la même rengaine. Ne pouvaient-ils pas se contenter d’une partie de lui ? Il ne parlait pas d’infidélité mais d’individualité. Bien sûr, il aimait des guerriers Et les guerriers avaient toujours été des égoïstes possessifs. Il n’y avait qu’à voir combien la relation entre l’Empereur et son toy boy était malsaine. Dire qu’ils avaient eu des enfants ...
Quand Yvan commença à parler de faveurs, Taesch resserra ses cuisses l’une contre l’autre. Accepterait-il cet amour aussi faux que mauvais ? Yvan le prendrait comme un vide-couilles tout simple et Taesch en ressortirait le cœur plus vide.
Et quand Yvan le toucha, Taesch comprit que toutes ces réflexions étaient stupides. Bien sûr qu’il le laisserait faire. Il aurait vendu son âme à n’importe qui pour se faire étreindre par Yvan, encore une fois. Alors oui, il se laisserait monter comme une putain en manque de queue, parce que les bras d’Yvan, sa colère chaude et puissante, ses grognements de plaisir, tout cela lui manquant. Et quand Yvan rit, froidement, Taesch ne mima pas la déception. Il était persuadé d’avoir entendu son cœur se fendre en deux.
Yvan lui demanda un nom mais Taesch, en toute honnêteté, n’en connaissait aucun. Il n’avait jamais vu le maître en face, une seule fois. Et pas une seule fois il n’avait pu l’approcher à moins de deux mètres. Tout se passait toujours dans cet endroit étrange dont le sol était couvert de cercles d’invocation. Heureusement, Yvan venait de lui ouvrir une porte pour s’échapper. Il comptait bien le pousser au bout. Et il avait vu son regard sur ses cuisses.
“Un nom ? J’en connais bien un. Taesch Condé.”
Nombreux étaient les petits nobles qui voulaient le prendre à en perdre la raison, il le savait, mais il ignorait que les petites gens et les bourgeois avaient, eux aussi, ce désir. On lui avait demandé de se grimer en cet énigmatique homme de la Cour plus de fois en quelques semaines qu’il n’avait fait d’apparence au Conseil en deux ans. Il lui suffisait de relâcher un peu de sa magie, de la laisser couler le long de son dos pour qu’il reprenne son apparence originelle.
“C’est lui que vous voulez, n’est-ce pas ? Vos pensées sont comme un livre ouvert pour les gens comme moi.”
Yvan s’énerverait, le frapperait probablement, l’enverrai au sol de toute sa puissance et, quand il en aurait fini avec lui, Taesch saurait qu’il avait réussi à garder l’illusion. Sans penser plus à cette histoire de parfum, sans imaginer ce qui lui arriverait bientôt, sous les poings d’Yvan, il grimpa à califourchon sur ses cuisses et vint lui donner le baiser le plus chaud qu’il ait jamais accordé à quelqu’un depuis leur rupture.
Baiser les lèvres d’Yvan était comme se suspendre au rebord d’un gouffre sans fond. Il se sentait comme aspiré par le vide, il savait que cela arriverait bientôt, que ses doigts lâcheraient prise, qu’il finirait par plonger de lui même tout au fond.
Le déclic, ce fut tout simplement l’odeur de cendres et ce fond de lilas doux qui lui monta au nez comme par magie. Petit, il adorait l’odeur des lilas. Et quand il avait reconnu cette teinte violette dans l’odeur corporelle d’Yvan, il avait su qu’ils serait lié à tout jamais. Désespérant de trouver la réincarnation de Jacinthe, il avait fini par trouver plus que cela. Un homme qui l’aimait et qu’il aimait en retour. Qui l’avait aimé autrefois, du moins ...
Une larme chaud coula le long de sa joue et se mêla à leurs baisers.
©️ Justayne

Coming downArc 1 - Fake Love
i can show you ...   Un invocateur, hein, un autre que le sien ? Il déglutit doucement et un frisson le parcourut. Pouvait-ce être Delacroix ? Il avait été banni et il était sûrement mort dans un caniveau de Lumen depuis mais il ne connaissait qu’une seule personne assez puissante pour se camoufler de l’armée après de tels crimes. Il déglutit doucement quand son ancien amant le perça de son regard. Si son ennemi était Delacroix, il devait le protéger, le mener sur une fausse piste, en attendant de pouvoir mener l’enquête à sa façon.
Le vieux vampire sentit sa peau s’enflammer au simple toucher d’Yvan. Aimerait-il que son corps se resserre autour de sa queue ? Apprécierait-il la vue d’un Taesch complètement à sa merci ? Un anneau au dessus du lit permettait d’y nouer les poignets de quelqu’un, s’en serviraient-ils ? Il avait hâte et tout son corps appréhendait ce moment. Un grognement lui échappa quand Yvan se fit plus pressé, plus violent et il passa une main dans ses cheveux.
“Doucement, mon prince. Nous avons tout notre temps.”
A peine avait-il parlé ainsi que le prince se fit insistant, plus encore. Il avait ses cheveux dans sa main, ses lèvres sur sa peau et Taesch ne se gêna pas pour gémir tout son saoul. Ils étaient dans une maison de passe, personne ne s’étonnerait qu’un prostitué en fasse des tonnes. Sauf que tous ses petits cris étaient sincères et complètement réels. Chaque effleurement, chaque petit baiser ... C’était l’enfer sur terre.
Oh, le lendemain, ils regretteraient tous deux cet échange insupportable de fluides et d’amour mal placé. Taesch savait qu’Yvan l’aimait toujours. Il le voyait dans ses yeux quand il l’insultait, il le voyait dans sa gestuelle quand ils se croisaient à un coin de couloir. Yvan était sa deuxième moitié et elle lui manquait diablement mais, s’il avait été stupide une fois, il ne le serait pas une seconde. Il était Taesch Condé et son cœur devait se concentrer sur la survie de l’Empire, rien d’autre. C’était pour cela qu’il avait eu cette petite fille qui lui donnait tant de souci.
Autrefois, il avait porté la même couronne en or blanc que Luscka et il avait compris, en la laissant derrière lui, qu’il ne devait plus se faire avoir. Oh, comme il aurait aimé se laisser aller mais les romances compliquées et les engagements à long terme n’étaient pas pour lui. Déjà puisqu’il serait déconcentré de sa véritable inquiétude et ensuite ... ensuite parce qu’il était vieux. Trop vieux pour qu’on s’imagine tout ce qu’il avait vu, pour qu’on n’imagine un enfant perdu aux cheveux bouclés et aux joues bien rondes quand on le voyait. Et il pourrait partir en poussière du jour au lendemain.
Néanmoins, il ne pouvait faire taire son coeur, ses sentiments prenants pour le prince noir. Il gardait dans sa chambre un portrait d’eux, quand Yvan était encore jeune et innocent et qu’il portait tous les jours ce manteau lourd décoré de broderies argentées que les militaires n’étaient censés porter qu’en cas de défilé. Il était si fier que personne n’avait eu le cœur de lui dire qu’il était ridicule.
Taesch se sentit un instant abandonné mais Yvan n’en avait pas fini avec lui, il comptait bien lui en faire voir de toutes les couleurs. Le jeune homme en Yvan, celui à qui il avait donné tant d’étreintes passionnées, le regarda avec désir avant de repartir à l’assaut. Le cœur de Taesch battait démesurément dans sa poitrine et, un instant, il crut qu’il allait mourir.
Et Yvan continua à le regarder, comme si c’était la première fois qu’il le voyait. Quand il saisit son membre, son dos s’arqua et il poussa son premier cri de plaisir. Les mains d’Yvan étaient plus rugueuses, plus durs et froides qu’avant, mais la même passion se communiquait par ses mains. Le même feu amoureux que Taesch n’avait réussi à contrôler sept cent ans auparavant, la même colère incroyable. Il sentit une larme couler le long de sa joue. Dieux que tout cela lui avait manqué.
C’était parfait, tout cela. Et Taesch se sentait si bien, ses mains collées au dos musclé de son ancien amant, ses ongles plantés dans sa peau blanche. Son esprit lui disait “Tiens, tiens bon” mais son corps s’en fichait bien de cet avertissement. Le duc était prêt à se laisser aller.
Yvan lui donna une bague mais Taesch n’aurait pas pu s’en foutre plus. Il l’accepta sans un mot et tenta de se défaire de la pensée qui lui soufflait que c’était un piège. C’était trop incroyable pour être désintéressé. Mais Yvan lui donna le coup de grâce en lui donnant un ordre qu’il ne pouvait pas refuser. Alors il défit précipitamment les liens du pantalon du prince et saisit son sexe avec douceur avant d’appuyer sur pouce, presque douloureusement, sur son gland. Yvan était déjà dur comme la pierre.
Taesch le travailla au corps, lécha, suça et mordit sans relâche puis il le laissa jouir dans sa bouche, avec un plaisir qu’il ne put dissimuler. C’est alors qu’un craquement, comme celui d’un feu qu’on démarre, d’une allumette qu’on gratte, le surpris. C’était un signe distinctif, accompagné d’une odeur de soufre insupportable, mêlée à de la sueur humaine. Enfin, son démon lui était revenu. Taesch se redressa en regardant la porte qui n’allait pas tarder à s’ouvrir et, lorsqu’elle claqua assez fort pour heurter le battant, il fut surpris de constater qu’il n’était pas seul.
“Oncle Yvan ?”
Taesch avait repris l’apparence de l’humain d’Aleister, en relâchant sa magie et il se retrouvait désormais face à son jumeau. Manque de chance, c’est à ce moment que l’invocateur choisit qu’il avait besoin de lui parler. Ses poignets se mirent à brûler et son univers changea du tout au tout. Bientôt, il se retrouva face à son maître, alors qu’il aurait pu être un homme libre, à genoux dans un entrepôt qui puait le poisson.
“Tu es sale, Aleister. Mais réjouis-toi, car aujourd’hui est un grand jour.”
Oh merde.
©️ Justayne

Coming downArc 2 - Wild Knight
i can show you ...   L’endroit sentait insupportablement le poisson. Taesch était à genoux dans une eau saumâtre et il eut soudainement la nausée. Une minute plus tard, il en était encore à respirer le parfum intense et chargé d’Yvan. Il en était encore à haleter contre sa peau. Il détesta d’autant plus son invocateur qui était un fils de chien en temps normal mais venait de gagner une promotion folle et était désormais une raclure de cuvette.
Il se releva doucement, mettant la main dans cette eau dégoûtante, pas franchement haute mais assez pour que ce soit répugnant et que ça lui trempe la peau. L’invocateur lui jeta le corps d’une fille et Taesch la rattrapa de justesse et haussa un sourcil. Elle avait la peau sombre, les cheveux blonds et très longs, attachés en deux couettes épaisses et elle était habillée d’une robe rourte.
“Qui est-ce ?”
Aussitôt après sa question, ses poignets commencèrent à le brûler et il commença à se sentir mal. Il faillit en lâcher la fille mais ne le fit pas. Elle était toujours inconsciente. Que lui voulait l’invocateur ? Et pourquoi était-ce censé être un grand jour ? Est-ce qu’il allait la sacrifier ? Elle sentait l’humaine à plein nez mais ce n’était pas forcément une raison pour la tuer. Etait-ce elle qu’il était censé attendre à la maison close ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête.
“A ton avis ? Tu as ton corps depuis un certain temps maintenant. Il est temps d’en changer. Celui là sera plus solide.”
Taesch sentit un vent de panique le traverser. Il avait beau avoir l’apparence d’Aleister, il n’était pas un démon. Pas  complètement. Il ne pouvait pas abandonner son corps pour la simple et bonne raison qu’il y était attaché de façon permanente, même s’il était devenu plus humain à cause des menottes. Il restait un habitant de ce monde, qu’on le veuille ou non, et il ne pouvait pas posséder le corps d’une gamine en un claquement de doigt.
“J’aime bien celui-ci.”
L’invocateur fit un signe de la main pour lui signifier qu’il racontait n’importe quoi mais ne sembla pas se formaliser de quoique ce soit. Il s’éloigna, cachant son visage comme à l’usuel et Taesch se dit que ce devrait être un bon plan d’action que de le suivre. Il déposa la fille à terre en s’excusant de la tremper et s’exécuta.
“Notre cible est venue te voir enfin. Je savais que ça marcherait.”
Leur cible ? Yvan ? D’un geste de la main, l’invocateur disposa une fiole de sang et une autre d’un liquide blanc qui devait être du sperme. Yvan. Taesch serra les poings. Peu lui importait que son invocateur le batte à mort, il ne lui laisserait pas faire de mal à son amour de toujours. Il s’avança d’un pas.
“Qu’allez vous en faire ?
- Eh bien le supprimer et devenir lui, bien entendu. Ce sera un début.”
Taesch fronça les sourcils et s’avança encore. Ses menottes le brûlaient toujours mais il reprit un port altier et s’arma de tout son courage.
“Je ne vous laisserais pas faire.”
L’invocateur en parut déçu.
“Tu es un démon, Aleister. Quel est ton intérêt dans cette affaire ? Qui plus est, tes pouvoirs son limités. Tu ne peux pas faire pleuvoir de la glace ou faire saigner la pierre.”
Ce devait être une métaphore pour lui faire comprendre combien il était impuissant mais Taesch passa une main dans ses cheveux et décida de la prendre pour argent comptant.
“Je peux faire saigner une pierre. Ça dépend juste du nombre de crâne qu’on écrase dessus.”
Cela prit très exactement onze secondes sept à son invocateur pour réagir et l’envoyer valser à l’autre bout de la pièce. Le corps de Taesch frappa violemment le mur en pierre et il perdit immédiatement connaissance. Corps humain de merde.

Lorsqu’il se réveilla, Yvan se tenait devant lui. Il portait un habit noir et un col de fourrure blanche. Ses cheveux étaient longs et bouclés et ses yeux fardés de noir et d’argenté. Taesch ne se laissa pourtant pas abuser. C’était bien son invocateur qui se cachait sous ces traits.
L’immonde copie fit un tour sur lui même et prit une pause de conquérant qui aurait pu seoir à un homme aussi héroïque que son ancien amant mais rendait juste l’invocateur ridicule. Taesch se releva en se frottant le crâne.
“Ça va la danseuse, on s’amuse bien ?”
L’invocateur ne semblait absolument pas satisfait de la réaction de son invoqué et haussa les épaules.
“Ris bien tant que tu veux. Quand je gouvernerais le monde d’une main de fer, tu regretteras de ne pas avoir supplié de m’embrasser les chevilles.”
Taesch n’aurait certainement pas dit non au fait d’embrasser les chevilles d’Yvan, ni de remonter le long de ses cuisses de ses baisers enfiévrés mais cet homme n’était ni Yvan, ni même une réelle copie. Sa voix était encore trop mielleuse et un ton trop claire. Taesch ne comptait pas lui faire remarquer cependant.
“Et votre altesse compte s’amuser encore longtemps avec moi ?”
L’invocateur se retourna dans un geste théâtral et ouvrit les bras d’un grand geste qui annonçait une grande nouvelle. Taesch ouvrit ses oreilles si fort qu’il en contracta presque un mal de crâne.
“Il est temps pour moi de te révéler la vérité sur qui je suis vraiment.”
L’invocateur s’approcha de lui et prit son visage dans ses mains. Il le força à regarder au plus profond de ses yeux et Taesch en trembla un peu.
“Je suis ton ... Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?”
Une petite troupe venait d’entrer dans la pièce qui se retrouvait désormais peuplée de deux Aleister, deux Yvan et un Lucius qui ne semblait pas spécialement troublé. En voyant qu’ils n’étaient que trois, Taesch fronça les sourcils.
“Aleister, où est ma fille ?
- Euh ... sur l’île de Jem, je crois. Quelque part dans Kalin.”
Taesch manqua de se consumer de rage. Pourquoi avait-il fait confiance à ce démon déjà ?
“T’es pas foutu de faire quelque chose correctement?!”
Quelque chose se passa et Taesch se sentit bien plus libre. Les menottes avaient lâché.
©️ Justayne

Yvan fonça dans tellement de portes du manoir qu’il en vint à se déboîter l’épaule. Il ne s’arrêta pas pourtant. Taesch était là, quelque part, derrière l’une de ces portes. A l’un de ces étages. Toutes ces pièces, elles étaient juste vides et très probablement créées par la magie d’invocation. Visiblement, ce type, qui qu’il soit, avait consacré toute sa vie à cet art. Et bien qu’il ne l’aurait jamais avoué à voix haute, Yvan doutait qu’Elijah soit à sa hauteur. S’ils avaient vraiment besoin de le vaincre, ce serait difficile.
Après trois étages parcourus en tous sens en vain, Aleister sembla se souvenir de quelque chose d’utile.

« Je pense que c’était en sous-sol.»

Yvan émit un grognement de frustration.

« Et comment s’y rend-t-on, à ce sous-sol ? Jusque là, nous n’avons vu aucun moyen d’y aller.
- J’ai peut-être une solution. Avec l’aide de Lucius.»

Il jeta un regard étrange à son neveu. Quelque chose emprunt d’un amour malsain et vicié. Plus une étincelle de victoire. Que se passait-il vraiment avec ce démon ?

« J’ai juste besoin d’un baiser.»

Avant qu’Yvan puisse l’en empêcher, Aleister sauta au cou du prince pour lui arracher ce fameux baiser. Tous les trois se retrouvèrent plongés dans une purée de pois de plus en plus noire. Lorsqu’elle se dissipa, ils étaient dans un endroit puant et sale, qui sentait l’eau croupie. Prince était là, ainsi que... Lui-même.
Il en avait assez de ces histoires de doublons.

Prince et Aleister échangèrent quelques mots, puis l’illusion se dissipa. L’incube redevint Taesch. Même si Aleister lui avait tout expliqué auparavant, Yvan ne put s’empêcher de ressentir un petit choc. C’était bien lui, Taesch Condé, qui l’avait sucé et desséché. Il allait devoir faire preuve de beaucoup de charisme et de mauvaise foi pour se sortir de cette situation une fois qu’ils auraient réglé son compte à l’invocateur.

Ce dernier n’avait d’ailleurs pas perdu de temps. Un cercle avait été rapidement dessiné au sol et une nuée de petits esprits démoniaques ailés leur fonça dessus. Ils n’étaient pas difficile à battre, mais cela donna le temps à l’invocateur de rassembler ses affaires avant de se préparer à la fuite. Quelle honte ! Quelle erreur ! Yvan von Dast ne fuyait pas !

Roulant au sol sous les dernières bestioles, Yvan le rattrapa. Il se jeta sur lui, le propulsant au sol. Des fioles roulèrent par terre, assez solides pour ne pas se briser. Le deuxième Yvan s’effaça lentement, révélant un visage carré à la peau brune, le visage d’un paysan humain. Des écailles dorées soulignaient ses yeux fendus et des petites cornes jaillissaient de sa chevelure sèche et sombre. Un mélange étrange, entre le plus bas barreau de l’échelle sociale et... La puissance pure et démoniaque. Chaque parcelle du corps d’Yvan en contact avec celui de l’invocateur le brûlait comme si elle avait été plongée dans l’acide. Les vêtements n’empêchaient rien.

« Si tu crois que tu peux te faire passer pour moi aussi facilement !
- Quand j’aurai éliminé tous ceux qui auront des soupçons, oui ce sera facile !»

Yvan ne put s’en empêcher, il lui donna un coup de boule. Son crâne lui sembla exploser sous l’impact et du sang éclaboussa le visage de l’homme. Sa peau absorba le fluide sombre. Surpris, Yvan baissa sa garde.

« Merci de m’aider, prince Yvan.»

Une main d’une puissance inattendue plongea dans sa poitrine, l’étreignit et lui arracha le cœur. La douleur lui fit momentanément perdre la vue et il fut repoussé loin en arrière. Yvan mit plusieurs minutes à se remettre du choc, tous ses sens inopérants.
Quand il put enfin se relever, il n’était pas le seul à être en mauvais état. L’invocateur avait fuit et n’avait visiblement blessé personne d’autre, mais le démon Aleister était prostré dans un coin en train de fixer le sol. Il ne cessait de marmonner «C’est lui, c’est lui...»

Décidant que ce n’était pas important, il se releva avec peine et avança d’un pas hésitant jusque vers Taesch. Il devait se faire violence pour ne pas le prendre dans ses bras. Mais de toute façon, Taesch n’aurait sans doute pas apprécié que son hémorragie le couvre de son sang.

« Tout le monde va bien ?»

Sa voix était rauque. Il ne se sentait pas non plus au mieux de sa forme. Pathétique, mais il avait au moins l’excuse de ne plus avoir un cœur entier. Heureusement, il devait lui en rester assez pour ne pas mourir. Tout de suite.

Coming downArc 2 - Wild Knight
dompteur de lion  Aleister, Lucius et Yvan auraient pu lui fournir une diversion plus que correcte mais ils l’avaient surpris lui aussi. C’était bien dommage. Avec un talent comme le sien, il était quand même coincé dans cette parodie de démon qu’il était censé incarner. En grinçant des dents, il tenta de se redresser mais une douleur dans le dos le fit frémir. Son corps était encore en train de se reformer.
Il jeta un coup d’œil à la fille inconsciente sur le sol. Le chapeau qui traînait dans une flaque d’eau croupie était à elle. Où le démon avait-il trouvé une pareille humaine ? Ses vêtements avaient l’air cher. Elle devait être la calice d’un vampire bourgeois, peut-être noble. Elle pourrait rapporter des choses à son maître si elle se réveillait. Mais ce n’était pas leur premier problème.
Lucius, dans un coin, semblait prêt à se battre, mais ce démon était d’un tout autre niveau que la chenille mécanique qu’il avait battu lui même au début de la saison. Lucius était encore fragile et maladroit, Taesch devait le protéger. Il se saisit des menottes et se coupa au doigt. Il était encore temps d’invoquer sa mère. Ou un ami à elle.
Naturellement, il craignait des reproches cinglants et il avait aussi peur qu’un démon en affrontant un autre ne prenne des proportions gigantesques. Antinoos ferait parfaitement l’affaire, il était délicat dans sa façon de régler les problèmes, mais il serait peut-être trop faible.
Bien sûr, il y avait Lilith mais quel discours elle lui tiendrait ?
Il traça un pentacle autour de lui et commença un incanter mais Lucius ne lui en laissa pas le temps. Il décida de foncer sur les esprits démoniaques alors qu’Yvan se jetait sur le nécromancien. Vraiment, quelle famille de stupides bêtes ! Que devait-il faire à présent ? Protéger Lucius ou empêcher Yvan d’alimenter le sorcier démoniaque ?
“Oh, par Cronos, vraiment !”
Lucius fut blessé en premier, déchaînant ses flammes inefficaces contre les petits esprits. Taesch se changea instinctivement dans sa forme de loup, un autre de ses pouvoirs gardés de son enfance démoniaque, et chargea les minions, les éliminant sans trop de problèmes. Ils étaient plus nombreux à chaque vague néanmoins et Taesch commençait à fatiguer. Que faisait Aleister ?
Le loup qu’il était senti une importante quantité de sang infester l’air et il se tourna vers Yvan qui était sonné, un trou béant dans la poitrine. Où était l’invocateur ? Il reprit son apparence bipède, complètement nu et couvert de sang noir et arracha à Lucius sa cape bleu roi. De toute façon, on n’avait pas idée de porter ça avec un complet vert olive !
“Non tout le monde ne va pas bien ! Tu as un trou dans le cœur !”
C’est ce moment là que la fille se réveilla. Elle dit quelque chose d’inintelligible et Taesch la frappa à l’aide d’un morceau de métal abandonné. Elle retomba aussitôt dans le coma. Il n’avait pas le temps de s’occuper d’une humaine maintenant.
Le héros d’endurance qu’était Yvan ne tiendrait pas bien longtemps sans son cœur entier et Taesch le força à s’asseoir. Lucius se précipita pour évaluer la situation.
“Je vais le rattraper. Toi, reste là. Aleister, viens avec moi.”
Aleister était toujours prostré dans un coin en train de se balancer. Taesch le rattrapa et le gifla assez fort pour lui remettre les idées en place. Il détestait qu’on agisse faiblement dans ce genre de situation.
“Je ne te demande pas grand chose, mais j’ai besoin de tes liens.”
C’était encore le meilleur moyen de trouver un invocateur. Il se mordit la lèvre assez fort pour qu’elle saigne et embrassa profondément Aleister sous le regard outré de Lucius, qui essayait de reformer un coeur viable à partir de ce qui restait. Il disait que ça ne prendrait pas longtemps mais il n’aurait jamais le temps avant qu’Yvan ne rende l’âme.
Ils se retrouvèrent quelques mètres plus loin. Ils étaient dans une ruelle puante et Taesch eut tout de suite conscience que l’invocateur était fait comme un rat. Ils étaient du bon côté de la ruelle. Quand il parut au seuil de la petite rue, Taesch avait l’air sûr de lui et il était déterminé à botter des fesses.

“Tu reviens sans lui ? Quelque chose s’est mal passé ?”
Taesch était couvert de sang dégoûtant, il était épuisé par cette journée de merde et il savait qu’il devrait bientôt partir pour Kalin pour récupérer sa fille, à cause d’Aleister.
“J’ai récupéré l’essentiel.”
Le démon invocateur n’était pas mort mais son plan avait échoué pour le moment. Il tendit le cœur à Lucius qui fronça le nez.
“Que veux-tu que je fasse avec ça ? C’est déjà mort.”
Taesch leva les yeux au ciel. Comment allaient-ils sauver Yvan maintenant ?
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Yvan se réveilla parce que sa joue droite le brûlait. Il réalisa alors qu’il ne se souvenait pas de s’être endormi, ou couché. Faisant un petit tour de sa mémoire, il se rendit très vite compte que la situation était critique. Et ouvrit ses yeux en grand. Immédiatement, il reconnut le plafond au-dessus de lui. La scène de chasse forestière, où des vampires robustes traquaient les sangliers et les ours les plus impressionnants de l’imaginaire, ne lui laissait pas le moindre doute. Il était au manoir des Von Hochen.
Yvan tenta de se redresser dans le lit immense et moelleux, écrasé par les draps et les couvertures. Il grimaça, quelque chose tirait sur sa poitrine. Il baissa la tête, se découvrant nu, mais bien réchauffé par le feu ronflant et craquant dans la cheminée. Une cage d’acier recouvrait un pansement qui masquait sa blessure au cœur, des tubes de cuivre plongeaient sous sa peau. Un sceau magique était tatoué tout autour, à l’aide d’un mélange d’encre et de sang. Comme pour son bras droit. Son bras gauche, lui, était réduit à un moignon. Luscka avait dû juger plus sûr de lui retirer sa prothèse. En balayant la chambre du regard, il la découvrit soigneusement rangée sur une table, enroulée de tissus. Il s’y était déjà attaché.

Yvan s’extirpa du lit, tant bien que mal, et se laissa tomber au sol. Comme il cherchait des vêtements, la porte s’ouvrit, laissant passer Elijah. Le soulagement éclaira le visage de son frère, qui se laissa ensuite envahir par l’embarras.

« Oh, désolé ! Je te laisse t’habiller. On t’a préparé quelques vêtements sur la chaise, là-bas.»

Elijah semblait décidé à patienter jusqu’à ce qu’Yvan soit vêtu, mais le généralissime n’était pas quelqu’un de cette trempe. S’échinant à enfiler un pantalon de tweed (de la laine !) avec une seule main, il commença à pester, d’une voix bien plus faible qu’il ne l’aurait voulu.

« Tu ne veux pas plutôt dire à Luscka de se ramener ? Il faut qu’il me remette mon bras. Je ne peux pas le faire tout seul.»

Elijah s’affola une seconde, hésitant sur la direction que ses pieds devaient prendre. Et puis il s’arrêta, se souvenant probablement de quelque chose d’important.

« Ton nouveau cœur génère un courant d’électricité qui n’est pas encore stabilisé. Ca pourrait avoir de graves conséquences avec ton bras. Pour l’instant,il vaudrait mieux t’en passer. Mais une fois que Luscka, Lucius et moi auront trouvé une solution, tu seras comme neuf ! Tes deux prothèses fonctionneront à la perfection !»

C’était censé être une bonne nouvelle, considérant la tête de son frère. Mais Yvan frôlait l’envie de se suicider. Il était devenu un handicapé. Taesch semblait disposé à renouer avec  lui et voilà qu’il devenait un vampire prothéseux. Il n’avait même pas mille ans, c’était une marque importante de faiblesse et d’impotence. Est-ce qu’il aurait pitié de lui ? Est-ce qu’il se moquerait de lui ? Yvan ne voulait ni de l’un, ni de l’autre.

« Laisse-moi, va trouver une solution.»

Yvan refusait de le regarder en face. Il préférait fusiller le foyer brûlant de ses yeux pleins d’orage. Elijah n’insista pas et s’éclipsa. Le grand vampire resserra comme il put les liens de son pantalon et laissa tomber le reste de son habillement. Décidé à broyer du noir, il s’assit au bord du lit, ses pieds ne touchant plus le sol.
Quand il était dans cet état, une seule chose pouvait le faire se sentir mieux. Il allait concocter une stratégie pour éliminer ce fumier d’invocateur. Sans l’aide d’Elijah. Il s’y connaissait un minimum en invocation, il aurait même pu tracer lui-même le tatouage qui encerclait son cœur. De son côté, Yvan possédait également la force physique, l’entêtement et l’expérience du combat. S’il ne sous-estimait pas son adversaire et se montrait assez prudent, il pouvait parfaitement l’emporter.

Une heure plus tard, Luscka fit son apparition. Il rectifia quelque chose dans les tubes de cuivre souples, appliqua une espèce de baume hydratant et apaisant autour du pansement, puis réinstalla son bras. Ce fut ce moment que choisit Taesch pour débarquer. La personne qu’Yvan avait sans doute le moins envie de voir actuellement. Il était dans un état de faiblesse évident.
D’un autre côté, il ne pouvait pas le fuir. Il détenait peut-être des informations importantes. Et puis, d’après ce que lui avait dit Luscka - à contrecœur - il lui devait d’être toujours en vie. Sans son morceau de cœur mort, ils n’auraient jamais pu le sauver. Pas sur le long terme. Mais maintenant, ce bout de muscle était nourri d’électricité artificiellement, grâce à un mélange de science et de magie que maîtrisait la famille impériale.

Merde. Voilà qu’il lui était hautement redevable. Sa relation avec lui devenait de plus en plus compliquée et inextricable.

Coming downArc 3 - Une voie infâme
liberté et règles  Taesch veilla à bien fermer la porte derrière lui.

Son retour à Ravenwell en tant que Taesch Condé n’avait pas été de tout repos. Il avait fallu traiter avec Aleister et lui arracher chaque bribe d’information. Il avait aussi fallu envoyer ses hommes pour récupérer Charlie et Isobel à Kalin puisqu’Elijah l’avait supplié de rester. Il disait qu’il était déjà parti trop longtemps. Il n’avait pas forcément tort.
Bien sûr, il s’était inquiété tout du long. C’était comme une sensation de nausée bien calée entre ses poumons et son cœur. Luscka était un médecin et il était très bon quand il s’agissait de protéger quelqu’un de la mort.
Il avait envoyé plusieurs fois ses espions chez les Von Hochen pour demander si Yvan était mort. Ils s’étaient tous fait refouler honteusement mais jamais le prince consort n’avait prononcé la sentence de mort. Il ne s’entendait pas toujours bien avec l’opposition sur les questions de politique mais il pouvait au moins reconnaître aux Von Hochen qu’ils étaient honnêtes et pas franchement du genre à cacher un mort.
Yvan était le camarade de bord et d’armes de Luscka et il savait que le médecin en prendrait grand soin mais, tout étouffé par la tonne de paperasse dont il s’occupait, il avait quand même peur.
Il était en train de lire le rapport d’un agent maritime quand il avait reçu le mot d’Elijah. Yvan était réveillé. Il avait alors tout laissé tomber pour se rendre au manoir du prince Consort. Taesch avait un sursaut d’espoir. Peut-être que ce n’était pas si grave ... Si quelqu’un pouvait mettre debout du mort, c’était bien Luscka von Dast.
Rentrer dans le manoir Von Hochen ne fut pas une mince affaire à cause de la présence d’une foutue cinquantaine de Von Hochen, visiblement venus acceuillir Lucius chez lui. Tùrin s’opposa fortement à sa venue et ce fut Roman qui finit par lui obtenir le droit d’entrée. Dans le chemin qui séparait le hall et sa chambre, Roman et Taesch avait un peu discuté. Dire qu’il n’avait même pas remarqué qu’il avait perdu son bras.
Il croisa deux personnes dans l’antichambre des appartements attribués à Yvan, qui se levèrent brusquement quand il arriva. Elijah vint à lui pour le serrer dans ses bras et cela laissa Jasper von Hochen seul, les bras ballants. Il savait que les deux cousins étaient proches et il se doutait que quelque chose d’incestueux se cachait là dessous mais n’en avait jamais eu la preuve.
“Est-ce que je peux rentrer ?
- Oh c’est que Luscka est à l’intérieur et ...”
Taesch lança un regard pénétrant à Elijah. Bien sûr que Luscka et Yvan avaient été laissés seuls. Ils devaient probablement être en train de se galocher.
“Mais je suppose qu’Yvan sera ravi de te voir.”
Le visage de Taesch se déforma en une grimace. Il savait bien que c’était faux mais personne ne pouvait résister au charisme de Taesch Condé. Aussi rentra-t-il d’un pas décidé.
Ses principes moraux voulaient qu’il frappe à la porte mais sa curiosité le poussa à ouvrir la porte et à entrer sans attendre. Taesch veilla à bien fermer la porte derrière lui et fut plutôt surpris de ne voir qu’une relation patient-docteur. Ils avaient probablement dû se galocher avant.
Taesch portait un complet rouge en laine tressé si finement que cela ressemblait à du lin et un chapeau assorti. Il ôta celui-ci avant de s’avancer. Ses cuisses étaient couvertes, il avait jugé qu’après la scène de l’autre jour, il valait mieux ne pas tenter le diable. Ou Yvan du moins.
Luscka se tourna vers lui dans une motion tout à fait impériale et Taesch le salua d’un signe de tête.
“J’avais dit à tout le monde d’attendre dehors.”
Taesch haussa les épaules. C’était devenu une habitude pour lui de tenir tête au prince Consort. Il avisa une petite pile de livres sur la table de chevet dont “Les Bas de Hurlevent” et la biographie de Louis le Sage. Sans doute qu’Elijah avait eu peur que son frère ne s’ennuie.
“Je venais juste m’assurer que tout allait bien pour notre prince.”
A cet instant, Lucie von Dast débarqua dans la pièce. Il y avait foule, c’était fou. La reine des réseaux mondains annonça que la rumeur courrait qu’Yvan était mort et qu’Elijah et Luscka devaient démentir dès maintenant et ensemble cette information. Luscka gronda comme une tempête un jour d’été et fourra dans les mains de Taesch un pot sans étiquette et le bras mécanique d’Yvan.
“Étale ça sur son moignon et remets lui son bras.”
Puis, en une seconde, il fut dehors. Lucie s’en fut derrière lui, laissant derrière lui une plume de sa belle robe couleur de ciel étoilé. Taesch se retrouva donc dans le rôle de médecin par défaut. Il déboucha la pot en soupirant et plongea ses doigts dans le baume qui sentait l’huile.
“Alors, je pars un mois et demi et tu deviens à moitié robotique, hm ? Que ferais-tu si je partais un an ?”
Il jouait bien son petit théâtre de l’homme qui s’en fiche mais l’inquiétude perçait dans sa voix de façon perceptible. Taesch n’aimait pas cela. Pas du tout. C’était vraiment très désagréable. Ses doigts glissaient sur la chair blessée de son ancien petit-ami avec un léger tremblement. Il n’aurait sans doute pas dû venir.
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Quand Taesch débarqua, Luscka était en train d’expliquer à Yvan en quoi ce baume de sa conception allait lui permettre de faire fonctionner ses deux prothèses sans danger. Pas que le prince noir y comprenne goutte et Luscka l’avait complètement perdu quand il avait entamé une histoire d’électrolyte, mais cela semblait faire plaisir à son meilleur ami de déblatérer sur le sujet, alors il ne dit rien.
Ce n’était pas la faute du Condé si la petite bulle d’amitié virile d’Yvan éclata, mais comme tout avait commencé avec sa venue, il décida de lui en vouloir. Tandis que Taesch appliquait le baume sur son moignon, Yvan portait son regard bien noir et fixé sur le tapis devant lui. Bien sûr, l’autre ne put s’empêcher de parler, sans doute par besoin de combler le vide. Yvan introduisit sa réponse d’un lourd soupir agacé.

« Qui sait ? Peut-être que je deviendrai l’un de ces mécas invincibles à la percelliane. Histoire de le vérifier, tu ne voudrais pas repartir ?»

C’était très mesquin et il le savait. Armé d’un autre soupir, qui détendit ses épaules et les muscles sous son dos, il leva les yeux sur la fresque au plafond. Il était stupide d’agir ainsi. Ce n’était pas la faute de Taesch, mais la sienne. De ses sentiments, de son foutu cœur, qu’il soit à moitié mécanique, électrique ou non.

« Merci, dit-il sur un ton de reproche acerbe, ce qui était le mieux qu’il pouvait donner pour le moment. De faire ça.»

Yvan agita un peu son bras. Puis, il guida Taesch pour qu’il puisse fixer sa prothèse correctement. Après quoi, de nouveau entier, il fit jouer les articulations mécaniques. Un peu de vapeur blanche s’échappa d’un ou deux interstices. Se laissant doucement tomber au sol, il attrapa une chemise trois fois trop large pour son corps finement musclé et compléta sa tenue.

« Merci aussi de m’avoir sauvé la mise.»

Cette fois, pas d’amertume dans sa voix. Un tour de force réussi parce qu’il tournait le dos au principal intéressé. Déglutissant, il se demanda si sa gorge nouée était un signe qu’il voulait que Taesch dégage ou qu’il reste. Un fourmillement étrange courait dans son dos et ses jambes, qui l’incitait à se retourner et se rapprocher du Condé honni. Pour se changer les idées, il se rapprocha du mur, juste à côté de la cheminée, et décrocha une belle épée. La lame était émoussée, il examina le bel ouvrage qui avait été fait au temps où cette arme servait à verser le sang.
Plusieurs questions d’importance lui vinrent à l’esprit. L’invocateur, la condition de leurs enfants, l’état politique de l’Empire, la caserne...

« Je ne comprends toujours pas comment tu t’es retrouvé à jouer les putains dans l’enveloppe corporelle d’un démon de la jalousie.»

Ses doigts caressèrent le plat de la lame comme il aurait - comme il avait déjà - caressé la ligne intérieure de la cuisse de Taesch. Pour le moment, le Condé n’en avait pas de découverte, mais les souvenirs du prince étaient assez précis pour nourrir son imaginaire.

Coming downArc 3 - Une voie infâme
le soir venu, il rangea son coeur  Les qualités et les défauts des Von Hochen étaient les mêmes, selon le Condé. Il ne les détestait pas mais ce n’était pas pour rien que Rozen avait décidé scinder leur famille en deux, abandonnant aux anciens Condé le grand duché inhospitalier qu’était celui de Hochen, dont ils tiraient désormais leur nom. Ils s’entendaient comme chien et chat.
La nuit était aussi longue qu’il était possible et Taesch commençait à fatiguer doucement. Que n’aurait-il pas donné pour laisser sa jeune fille régler les problèmes administratifs ... ? Malheureusement, la douce et très maligne Charlie n’était pas ici. Taesch était tout de même heureux de se retrouver ici.
Yvan lui ordonna presque de repartir mais Taesch ne répondit rien. Il venait de perdre son cœur. Cela faisait de lui un homme qui avait le droit de s’agacer, même sans trop de raison. Et Taesch aimait toujours le titiller. Il avisa son bras ... Il avait un long cou courbé pour passer sous l’aisselle d’Yvan et mieux se fixer. Son concepteur n’était pas le dernier des cons.
Ils étaient à la fin de la deuxième nuit que Taesch passait de nouveau à Ravenwell en tant que lui même et tout semblait calme.En tout cas, plus calme qu’il ne l’aurait pensé. Il s’attendait à voir une tonne d’assassins débarquer pour affaiblir le pouvoir mais tout le monde semblait inquiet du sort d’Yvan. Peut-être parce qu’il était un rempart important contre la puissance lumeni.
Un épais chat plein de fourrure entra dans la pièce par la porte laissé entrouverte par Luscka. Un émissaire du prince Consort. Si l’Impératrice Holly avait les corbeaux, Luscka avait préféré les félins. Le gros chat roux bailla et miaula. Taesch émit un reniflement plein de dédain. Comme disait le chat, voilà qu’il était devenu un aide médecin. Quelle dégradation.
Yvan le fit presque sursauter en le remerciant. Généralement, après ce genre de choses, on retrouvait une remarque acerbe et pleine de venin mais pas cette fois. Taesch en fut touché.
Yvan lui toucha les mains pour l’aider à mettre sa prothèse et il en fuit extrêmement troublé. Ce fut le tigre miniature qui le tira de cette situation gênante en sautant sur le lit. Taesch prit ses distances rapidement.
Yvan continua de le remercier et Taesch déglutit silencieusement. Est-ce qu’il avait estimé qu’après tant d’années de guerre il avait décidé qu’il était temps de dégivrer leur relation ? Ils ne s’étaient pas parlé pendant aussi longtemps depuis la fois où ils avaient décidé qu’il fallait faire enfaîter de nouveau le toit du bâtiment administratif de la caserne. Taesch détourna le regard. Il avait peu de déraisonner.
Yvan lui tournait le dos et Taesch se souvint alors comme il aimait toucher ces deltoïdes, ces muscles fermes le long de sa colonne vertébrales et le creux de ses reins.
Yvan se dirigea fort heureusement, une fois vêtu, vers la cheminée où il décrocha une épée qui avait dû appartenir à un Von Hochen plein de hargne. Lorsque la lame refléta la lumière du feu, Taesch sourit doucement. Oh non, il reconnaissait cette épée pour avoir été celle d’un professeur sourd aux recommandations de ses aînés qui avait prit la charge de général après de nombreuses années. C’était donc l’ancienne chambre de Tùrin.
La question d’Yvan le fit frémir. Oh, c’était donc cela qui le concernait le plus ? Quel enfant ...
“Aleister est, aussi incroyable que cela puisse paraître, un père pour moi. Il y a bien peu de choses que nous ne ferions pas l’un pour l’autre. Il avait besoin que je le soulage de son invocateur et j’avais besoin qu’il retrouve Charlette, Isobel et Lucius et un seul morceau chacun. Bien sûr, il m’a un peu déçu mais ce n’est pas de sa faute. Nos filles sont de fortes têtes. Je suppose que les vivipares ne pondent pas des chats.”
Charlie ressemblait à Taesch sans tirer de leçon de son expérience. Il lui disait toujours de calculer d’abord son coup avant de faire quelque chose mais l’écoutait-elle ?
Yvan était pour Taesch ce que le lion était pour la gazelle. Et Taesch était une gazelle extrêmement consentante. Malheureusement, il semblait que le lion ait décidé de devenir végétarien. Si seulement le Condé avait été un homme de taille haute et de plus musclé, peut-être Yvan l’aurait-il pardonné plus vite. Pardonné tout court.
A ça, pour marcher à grands pas comme s’il avait des bottes de sept lieues et donner des ordres, Yvan était doué. Mais pour ouvrir son cœur au pardon ...
“Elles sont à Jem, c’est une île au sud de Kalin. J’y ai envoyé des espions et Auguste de Pitray, il prendra grand soin de nous les ramener.”
Taesch avait une confiance aveugle en le fils de Mathieu de Pitray, même s’il savait qu’Yvan ne l’avait jamais apprécié quand ils faisaient leurs classes ensemble. Auguste était juste un peu plus âgé et plus doué qu’Yvan à l’époque. Aujourd’hui, il était juste plus âgé.
Taesch avait rêvé un début de relation avec Yvan de nombreuses fois. Un nouveau début de relation. Ils seraient probablement mêlés dans une bagarre un peu violente. A leur retour de bar, tard le soir, ils auraient consommé leur nouvel élan d’amour. Maintenant Taesch savait que c’était impossible. Enfin, il ne le savait pas mais il s’en doutait.
“Je suis désolé d’avoir fait ça à la maison close. Je n’aurais pas dû.”
Comme s'il le démangeait, il posa la main sur son tatouage. Il aurait tôt fait de disparaître.
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Les choses étaient toujours aussi obscures pour Yvan, même après les explications supplémentaires de Taesch. Il supposa qu’il n’était tout simplement pas destiné à les comprendre et qu’il devait se concentrer sur l’essentiel. Taesch était revenu, sans les enfants et un démon de l’Envie courait les rues. En plus d’un invocateur très dangereux capable de prendre l’apparence d’Yvan. Et puis, il s’était dévoilé devant son ex qui avait rejeté le mariage. Il était presque sûr que Taesch avait aimé le prendre en bouche et son instinct lui hurlait que s’ils n’avaient pas été interrompus, d’autres choses encore plus torrides ce seraient passées.
Au nom de Pitray, Yvan se raidit et sa bouche se pinça. Celui-là... Il ne se remettait toujours pas des nombreuses défaites qu’Auguste lui avait infligées quand ils étaient plus jeunes. En plus, il avait eu le culot de courtiser Taesch après leur rupture. Oh il avait même réussi à se faire apprécier de Luscka. Yvan ne l’aimait pas. Du tout.

« Je suis sûr qu’il y avait d’autres personnes bien plus compétentes que lui. De Pitray est bien plus utile à l’étranger, à surveiller les armées ennemies.»

Yvan prenait bien soin de l’envoyer le plus loin possible dès qu’il le pouvait.
Et puis, comme s’il savait que le sujet allait détourner Yvan de son irritation à l’encontre de De Pitray, Taesch ramena sur le tapis le sujet le plus épineux du moment. Yvan s’éloigna un peu, toute colère disparue au profit d’une profonde gêne. Il y avait un peu d’espoir en lui, un espoir fou, qu’il essayait en vain d’étouffer sous une tonne de raison. Mais ça ne fonctionnait pas.

« Non, c’est... Peu importe.»

Il jeta un coup d’œil à Taesch, qui posait ses doigts sur le petit signe tatoué sous sa peau brune. C’était joli. Yvan se laissa entraîner par un élan d’affection, qu’il aurait sûrement contrôlé s’il n’avait pas été fatigué, et saisit le bras de Taesch avec sa main de métal.

« Tu vas vite le faire enlever, n’y pense plus.»

Puis, il l’attira plus près de lui et fondit dans son cou pour plaquer sa langue sur sa peau. Il avait toujours le même goût, si agréable. Ses doigts froids glissèrent le long du bras de Taesch, jusqu’à saisir doucement son poignet. Là, il dirigea la main du vampire pour qu’elle atteigne son entrejambe. Puis, il le lâcha.
Son visage remonta en surface et regarda Taesch droit dans les yeux. Il craignait d’y voir le dégoût, mais n’y trouva, il pensa, qu’une certaine incompréhension.
Yvan avait failli mourir. Il était hors de question qu’il parte en laissant Isobel seule. Il était hors de question qu’il crève sans avoir réglé les choses avec Taesch. Il était hors de question que tout se finisse sans qu’il ait obtenu ce qu’il désirait vraiment dans la vie.
Leurs visages étaient extrêmement proches et Yvan essayait d’avoir un regard résolu et un visage ferme. Pas d’hésitation. Il devait prouver à Taesch que c’était pour de vrai et qu’il savait ce qu’il voulait.

Coming downArc 3 - Une voie infâme
peau chocolat, coeur de guimauve  Le vent se leva dehors et Taesch frémit. Il sentait presque l’air souffler sur sa peau. Il pressentait quelque chose de mauvais. Ses espions n’étaient pas rentrés et il commençait à douter de leur retour. Ceux qu’il avait envoyé à la lisière du désert pour sécuriser le parcours jusqu’à l’île de Jem n’avaient pas non plus donné de nouvelles. De nombreux nomades vivaient par là bas et ils avaient pu être retardés.  Peut-être qu’il s’inquiétait juste pour rien. Peut-être pas.
Son regard perçant se porta au loin. Il espérait que sa fille allait bien. La dernière fois qu’il l’avait vu, vêtue de sa large robe de voyage, elle portait le plus délicieux intérêt pour cette visite de famille et jugeait que cela ferait une excellente source d’information. Et puis Lucius les avait plus ou moins ... kidnappés. Ce sale petit con. Parfois, Taesch se demandait s’il avait la tête pour porter une couronne.
Taesch tira les rideaux qui les protégeaient de la lumière du soleil levant et se concentra de nouveau sur Yvan. Les Von Hochen disaient qu’il avait un esprit de guerrier dans un corps trop fin pour le retenir. Dans leur langue gutturale, c’était beaucoup moins joli mais Taesch aimait bien cette idée. Yvan était un Von Hochen avec un corps de Von Dast, qui ne pouvait pas encaisser les mêmes choses.
Malgré ces différences de gabarit, Yvan avait tout de même un corps parfaitement musclé, un vrai bijou de beauté charnelle. Il possédait encore les croquis qu’il avait fait de lui quand ils étaient allés campé dans la forêt argentée, au sud de Dasten. Il les gardait précieusement et les regardait souvent.
L’éternel crépuscule dans les yeux d’Yvan semblait s’éveiller à la mention de De Pitray. Il savait bien qu’ils ne s’entendaient pas et peut-être qu’une partie de lui aimait cette jalousie et l’avait provoqué intentionnellement.
“Il est déjà en chemin, sur les rives du lac Adurna. Il y sera dans deux jours, peut-être trois. Et je pense vraiment que l’affecter à l’étranger est une erreur.”
Le sous-general Tüdosten et Yvan, pour une raison qui lui échappait, s’étaient mis d’accord pour gâcher le talent d’Auguste en l’envoyant à la frontière, où il ne se passait jamais rien depuis l’arrivée d’Elijah au pouvoir.
Taesch écouta la réponse d’Yvan avec un certain soulagement. Il n’était pas énervé contre lui, ce qui était une véritable aubaine. Pour éviter son regard, il regarda la tapisserie rustre exposée au mur. Il reconnaissait une forêt composée de hêtres et de pins derrière les chasseurs sans pouvoir déterminer laquelle elle était. Hochen était un duché peu propice à l’agriculture où la vie sauvage dominait la plupart des terres.
Sous ces pins austères, la chasse semblait intense et prenante. Voyait-il un loup au loin ? L’art était franchement obscur, à certains endroits du mur.

Des kalini les apostrophèrent et, si tout le monde semblait inquiet, la réunion fut plutôt joyeuse. La nuit, ils bivouaquèrent à quatre ou cinq heures de marche du bateau qui le mènerait à Jem. Elle était anxieuse. On lui tendit un tissu qui avait une senteur de framboise et elle s’en drapa. On disait que les nuits étaient froides, ici. Elle était anxieuse, mais elle n’avait pas peur. Son père lui avait appris à être forte.

La main froide d’Yvan sur sa peau le sortit de ses rêveries. Il ne savait pas ce que c’était. Il s’était senti différent, ailleurs, pendant un moment. Loin. Une autre personne, même. La voix d’Yvan réussit néanmoins à lui faire oublier le reste et même cette pensée fugace qui avait traversé son esprit : il devait parler à Enrico et sa troupe.
Yvan faisait référence à son tatouage mais, pendant une seconde, il se demandait s’il ne parlait pas de la brûlante sensation des mains d’Yvan sur son corps, de son gôut sur sa langue. C’était ... étrange.
Yvan comme pris d’une pulsion, l’attira à lui et lécha la peau de son cou. D’instinct, Taesch tendit sa tête de l’autre côté pour exposer plus de sa peau caramel. Si Yvan le confondait avec une de ces sucettes sablées qu’on trouvait au marché, il n’allait pas s’en plaindre. Et quand Yvan posa sa main sur son propre entrejambe, il poussa un soupir sensuel. Il aimait toucher Yvan. Aussi serra-t-il doucement ses doigts.
Taesch aimait, lui aussi, prendre une sucette en bouche. Aussi, après avoir partagé son souffle avec Yvan, un court instant, il l’attira contre le mur. Il comptait bien finir ce qu’il avait commencé mais n’était pas encore prêt à se mettre à genoux. Yvan était et avait toujours été un doudou après le sexe et Taesch avait hâte d’atteindre cette partie. Mais pour le moment, ils n’étaient qu’au début des réjouissances. Et cette fois, Yvan savait qui il était.
Dame Nature l’avait doté de jambes puissantes qu’il s’appliqua à enrouler autour des hanches d’Yvan, une fois coincé entre le mur et lui, se frottant contre lui en haletant de temps à autres. Par Eros, il avait attendu ça depuis bien trop longtemps. Il laissa libre accès à son cou. Il aimait sentir la barbe de trois jours d’Yvan lui chatouiller la peau.
Lorsque la porte s’ouvrit, Taesch sursauta comme si on venait d’éclater un paquet de farine juste à côté de son oreille. Elijah, changé en une de ses tenues impériale, tout en tissu fluide bleu glacé et argenté, porta ses mains empêtrées dans ses manches à sa bouche, presque outré et Luscka émit un grondement tout à fait hocheni. La tiare de fleurs bleues d’Elijah en tomba même. Bien sûr, ils étaient suivis par toute une horde de Von Hochen qui venaient voir comment allait Yvan.
“Hm, c’est gênant, vous pourriez nous laisser ?
Luscka fronça les sourcils. Elijah était rouge comme une tomate et quelques Von Hochen émirent des sifflements parfaitement inappropriés.  
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Taesch était énervant mais réceptif. Si Yvan avait plutôt mal pris la remarque sur les affectations de De Pitray, tout cela fut vite oublié quand les doigts de l’autre prince pressèrent son entrejambe. Yvan sursauta très légèrement, un sourire carnassier sur les lèvres. La seconde suivante, il pinçait la peau du cou de son amant entre ses dents.
Il se laissa ensuite entraîner vers le mur, où Taesch colla son dos. La chaleur de la situation augmenta tout d’un coup et Yvan se retrouva très excité par les frottements de bassin. Il replongea dans son cou laissé à découvert, suçant la peau, la pinçant ou l’embrassant pleinement. Il s’appliquait à donner de forts coups de reins de temps à autre, donnant à Taesch l’occasion d’apprécier toute l’étendue de son engouement actuel. Ses mains agrippaient les cuisses de Taesch, plaquée contre ses hanches. Il avait hâte de les explorer plus intensément. Mais plus tard, pour l’instant il voulait expulser toute cette frustration de plusieurs années.
Et puis, Taesch sursauta. Au début, Yvan pensa qu’il y était peut-être allé un peu fort. Et puis, en entendant de légers bruits dans son dos, il comprit. Une douche glacée descendit le long de sa colonne vertébrale. Il relâcha Taesch et se tordit le cou pour voir par-dessus son épaule. Tout le monde était là, bien sûr.

L’excitation était morte dès que les yeux d’Yvan s’étaient posés sur le visage sévère de Luscka. Il n’avait pas emprunté la même voie que Taesch, refusant de le suivre dans son jeu. Il devait s’expliquer.
Hormis Luscka, cependant, personne ne le jugeait mal pour avoir fricoté avec Taesch Condé. Mais ils ne pouvaient pas comprendre comme Luscka le comprenait. Son meilleur ami le connaissait mieux que personne, il connaissait son histoire et les dégâts qu’avait eu sa rupture. Il devait se dire que toute cette histoire allait encore mal se terminer pour Yvan. Probablement à raison. Alors, le prince noir ne prit même pas la peine de lui dire qu’il avait tort et que ce serait différent cette fois. Yvan baissa les yeux, puis la tête, sous les yeux implacables de Luscka. Son meilleur ami savait qu’il savait qu’il s’était mis dans de beaux draps.
Toute cette conversation fut silencieuse et quelques regards suffirent. Yvan s’était expliqué : il était stupide et s’était laissé guider par ses envies primaires. Luscka lui ordonnait d’y mettre fin au plus vite, proprement et de manière définitive. Yvan allait essayer, peut-être. Mais il ne garantissait rien.
Ceci fait, tous deux retournèrent au salon où les Von Hochen, Elijah et Taesch s’étaient réunis. Yvan, prit place à côté de Taesch comme Luscka prenait place à côté d’Elijah. Il ne s’aperçut de sa connerie que trop tard et sentit les lourds reproches silencieux du prince consort peser sur sa nuque.

« Quelqu’un a un plan je suppose ?»

Yvan tourna les yeux vers une grosse flaque d’ombre, d’où surgit Aleister le démon. Il mangeait une pomme verte avec désinvolture. Le prince noir souleva un sourcil et aboya :

«Un plan pour quoi, exactement ?
- Ah. Je devrais peut-être aller chercher de l’aide ailleurs. L’invocateur, voyons ! Le grand méchant ! Il faut absolument le détruire. Enfin, l’arrêter et l’emprisonner dans les cachots jusqu’à l’oubli. C’est bien comme ça qu’on fait chez vous, non ?»

Yvan hocha la tête. Il avait raison. Sur tous les points qu’il avait soulevés d’ailleurs. Il posa son regard sur la table basse en pierre volcanique, soucieux. Un plan, hein ? Et bien, Taesch en avait probablement une dizaine sous le coude, tous plus dangereux les uns que les autres.
Bien sûr, comme les Von Hochen étaient dans le coup, pour une raison qui lui échappait totalement, ils s’enhardirent sur le sujet, avec leurs grosses voix et leurs enthousiasme encombrant. Bien vite, on parla de battue et de chasse, d’embrochage et de cuisson. Jusqu’à ce qu’une voix totalement inattendue s’élève difficilement au-dessus des autres.

«Je pourrai l’invoquer.»

Yvan se redressa, tout surpris de découvrir son petit frère debout sur son siège, tout brillant dans son costume d’Empereur. Il n’avait d’ailleurs pas l’air très sûr de lui, comme si c’était la première fois qu’il soumettait l’une de ses idées à une aussi grande assistance. Ce qui était peut-être bien le cas.

«Ce n’est pas un invocateur ordinaire. N’est-ce pas Aleister ? Je pourrai donc... L’invoquer, non ? Avec la bonne formule.»

Aleister pâlit, du moins il sembla à Yvan. Difficile à dire avec sa teinte de peau. Pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontré, il semblait complètement décontenancé. Ses sourcils s’infléchirent rapidement. Est-ce qu’Elijah aurait découvert quelque chose ? Et est-ce que ça avait un lien avec l’état pathétique du démon quand ils avaient affronté l’invocateur ?

« Oui, peut-être. Mais je pense qu’une chasse en bonne et due forme serait plus intelligente et moins risquée.
- Je n’y arriverai pas seul, cependant, poursuivit Elijah en ignorant la remarque d’Aleister. J’aurai besoin de mon fils.»

Depuis la naissance de son fils aîné, Elijah s’en remettait de plus en plus souvent aux autres invocateurs pour ses travaux magiques. Et ces dernières années, il ne faisait presque plus rien sans son rejeton. Yvan avait deviné ce qui se cachait derrière mais avait préféré se taire. Luscka n’aimerait pas entendre cela et sa réaction restait trop mystérieuse pour Yvan. Il tenait à son neveu. Il espérait juste que le Prince consort allait rester enfermé dans le dénis de ce qu’il avait sous les yeux chaque jour de sa petite vie de famille.

Coming downArc 3 - Une voie infâme
la comédie de l'année  

TAESCH

Elijah aurait pu être un allié inattendu et chasser tous les Von Hochen afin que son frère et son meilleur ami puissent profiter d’un moment de solitude mais son regard prit la fuite et Luscka l’effaça complètement du tableau en se campant devant lui comme si c’était un jeu d’enfant. C’était sans doute normal. L’Empereur n’était pas chez lui après tout.
Le regard de Luscka von Dast lui donnait des présages de guerre et des promesses d’écartèlement mais Taesch haussa les épaules. Luscka ne pouvait rien lui faire, malgré sa détestation injustifiée pour lui. Sans exagérer, ils avaient la même importance de rang.
La plupart des Von Hochen, eux, semblaient assez moqueurs, comme s’ils avaient surpris deux jeunes fiancés en train de flirter avant le mariage. Leur vision, de près ou de loin, ne laissait rien deviner de tous les enjeux qui se jouaient dans ces baisers échaudés. Maintenant que Taesch avait réussi à atteindre le cœur de pierre d’Yvan, il ne comptait pas le lâcher de si tôt. Il s’était donné assez de mal pour le reconquérir.
Naturellement, personne ne s’en alla et, en vérité, Yvan se détacha de lui même du corps de Taesch. Un peu décevant. Certains des membres de cette famille de barbares lui firent don de sourire aguicheurs mais son regard vert devint aussi froid que la glace. Il savait se faire glacial quand il le souhaitait. Mais, pour une raison qui lui échappait,cela excitait encore plus ces gorilles sans cervelle. Hmpf.
Elijah reparut, une fois les deux meilleurs amis laissés seuls dans la chambre. Taesch se dirigea vers lui. Il avait les yeux aussi bleus et aussi grands que la gueule de l’océan. Il lui demanda depuis quand ils étaient “comme cela” et Taesch réalisa soudain qu’Elijah n’était pas né la dernière fois qu’Yvan l’avait embrassé. Bon sang, ce qu’il se sentait vieux d’un coup.
En se dirigeant vers les fauteuils du minuscule salon, Taesch se rhabilla convenablement. Quand il s’assit pour se servir une tasse de thé - du thé .... - il avait l’air parfaitement respectable. Il ne savait pas si Yvan réussirait à dissiper les nuages de guerre dans les yeux de Luscka et à vrai dire, il s’en fichait bien. Le dégoût et la désapprobation de Taesch n’avaient jamais empêché Elijah de vivre son horrible histoire d’amour.
Le thé avait une forte senteur d’huile d’olive vierge et de copeaux de bois. Il ressemblait plus à un breuvage de sorcière qu’à une boisson de dégustation  mais Taesch le goûta. Il avait un goût passable.
Quand, enfin, Luscka et Yvan firent convergence pour les rejoindre, Taesch leur sourit doucement, comme si la situation n’avait rien d’anormal. Comme si, tout simplement, ils étaient en train de réunir une vieille bande d’amis. Lame rouge pour lame blanche, il pouvait bien faire semblant.
Yvan prit tout de même place à côté de lui. Taesch posa une main sur la cuisse d’Yvan, légère et parfaitement justifiée, comme pour prouver qu’il n’avait pas été impressionné par Luscka. Ce dernier détesta et serra sa fort les doigts sur sa tasse que l’oeil en saphir du sanglier sculpté dans celle-ci sauta et atterrit sur le lourd tapis à franges.

LUCIUS

Il était fatigué. Ses yeux commençaient à se fermer, doucement, ses respirations se calquant sur le rythme paisible et mesuré de ‘Mon Elodie’ qui sortait de la boîte à musique. Sa joue reposait sur l’épaule confortable d’Aleister et il commençait à se dire qu’il sentait assez bon pour avoir l’air appétissant.
C’était sans compter sur Luminnie, sa cousine la plus à la pointe de la mode. Mariée à un Von Dast, elle côtoyait souvent la Cour, ce qui expliquait sûrement sa robe courte couleur chocolat, l’énorme cage à oiseau qui surmontait sa jupe et ses cheveux bleus tressés sur le côté.
“Allez viens, ton père dit que nous pouvons aller voir Cousin Yvan.”
Lucius eut l’impression de s’extirper d’un désert de semoule de blé dur quand il dût bouger. L’odeur de fromage fondu qui était en train d’être préparé aux cuisines pour le dîner l’aida drastiquement.
Il laissa sa cousine le guider dans les étages et rejoignit le troupeau de Von Hochen. Il regarda à sa droite mais, naturellement, son garçon de compagnie n’était pas là. Son cœur se serra. Milo lui manquait aux larmes. Pour se consoler, il prit la main de sa cousine Margherite, qui prit cela comme un signe d’inquiétude pour Oncle Yvan et le consola. Mais Lucius n’était pas inquiet. Il le fut encore moins quand il vit qu’Oncle Yvan était assez en forme pour batifoler.

TAESCH

Les Von Hochen étaient énervants mais il les laissa parler. Le comte Bufala parla même de cuire l’assaillant d’Yvan. De. Le. Cuire. Comme une pizza du Sud, champignons et jambon compris. Heureusement, avant qu’il ne soit question de focaccia olives/ démon, de pissaladière étrange ou de panzerotti au feu de l’enfer , Elijah réussit à prendre la parole.  
Argonte von Hochen  - il s’appelait Ludwig en réalité mais tout le monde s’appelait Ludwig ici alors tout le monde utilisait les deuxième prénoms - regarda Aleister de la plus étrange des façons. Taesch aussi. Pas un invocateur comme les autres ... Taesch s’en doutait bien mais il ne pouvait pas l’admettre. Le père d’Aleister ...
L’aîné d’Elijah sortit de la foule, levant la main. Les yeux d’Aleister s’éclairèrent doucement à la vue du Prince, habillé d’un ensemble bleu nuit et argenté - personne n’avait donc dit à cet enfant que les franges étaient tellement siècle dernier ?! - et Taesch nota mentalement qu’ils devraient en faire parler plus tard.
“Pas la peine de me faire mander, je suis là, Papa.”

LUCIUS

Tous les regards convergèrent vers lui. Alfred sembla complètement terrorisé par sa présence caché dans cette chambre et fondit sur lui comme un oiseau de proie afin de lui enlever sa cape.
“Monsieur !”
En effet, personne ne s’était occupé de lui comme un prince aurait dû être choyé mais Lucius s’en fichait un peu. Luscka fit signe à Alfred de reculer. Ce n’était pas le moment de soigner sa tenue.
“Lucius, tu es sûr que tu en es capable ?”
Luscka von Dast n’avait pas spécialement l’œil mais la fatigue de Lucius était évidente aux yeux de tous. Même le maquillage ne pouvait pas camoufler ses cernes.
“Ça va aller. On fait ça quand ?”
:copyright:️ Justayne

Yvan n’aimait pas ce qui était en train de se tramer. Ce n’était pas la première fois qu’Elijah invoquait un démon, ce n’était pas la première fois non plus qu’Yvan utilisait une manière peu orthodoxe pour arrêter un criminel. Il avait déjà affronté des situations qui promettaient de ne pas se dérouler comme tous l’avaient prévu. Et puis, il y avait Taesch et Luscka pour les épauler, sans parler d’un démon de l’Envie certainement bien plus puissant qu’il ne voulait bien le laisser penser, enfermé dans un corps humain frêle. Non, vraiment, s’il devait se référer uniquement à sa raison, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.
Et pourtant, il était en proie à la plus grande des paniques. En dehors, il ne montrait rien bien sûr, il restait ce roc solide et fier que tout le monde était habitué à voir. Mais à l’intérieur, c’était une tornade dévastatrice. A côté de lui, Taesch lui apportait un certain réconfort, même s’il ne faisait rien de particulier. La simple expérience qu’Yvan savait détenue par son amant apaisait un peu ses tensions.

Il prit une grande inspiration alors que les volutes de fumée et de couleurs se précisaient autour du père et du fils sis en circonférence du pentagramme, juste assez large pour qu’ils puissent se tenir les mains au-dessus et invoquer l’invocateur.
Une belle blague, celui-là ! Elijah avait deviné qu’il était bien plus qu’un invocateur, mais un véritable démon. De bas étage, certes, qui était né humain, mais un démon tout de même. Un démon devenu le maître d’un autre. C’était sans doute ce détail qui faisait se tordre les tripes d’Yvan. Et bien sûr, comme une bonne nouvelle n’arrivait jamais sans sa cavalière, il s’avérait qu’il était aussi le père d’Aleister. Le démon de l’Envie avait préféré ne pas en dire plus sur l’histoire de sa vie et les circonstances de sa naissance, mais Yvan savait que Taesch connaissait Alesteir. Il aurait aimé avoir le temps de le cuisiner pour en apprendre plus. Il savait peut-être quelque chose d’utile après tout. Mais non, en dépit des réticences d’Aleister, Elijah avait préféré régler le problème au plus vite. Il voulait éviter d’autres victimes, en particulier si l’invocateur était capable d’arborer le visage d’Yvan.

Le passage commença à s’ouvrir sous les doigts trempés de sang des deux Von Dast-Hochen et Yvan se tendit. Les doigts de sa main droite enlacèrent le manche de sa faux, attachée dans son dos. Le contact du bois verni le rassurer légèrement. Trop légèrement.

« Le voilà, » marmonna-t-il.

Elijah et Lucius ne réussirent pas à le contenir bien longtemps. Le pentagramme n’était pas assez précis pour le retenir et le double d’Yvan repoussa aisément tous ses assaillants. Même Yvan termina dans le mur, où il laissa une belle trace craquelée avant de retomber sur les genoux.
Ce ne fut pas un combat, mais une mêlée avec un résultat évident à l’avance. Lucius était épuisé et ne pouvait que faiblement assister son père, qui se laissait surprendre par la puissance du démon-invocateur. Yvan ne s’était pas tout à fait remis de sa quasi-mort et Aleister avait sombré dans la peur après s’être pris une minuscule dérouillée.

Yvan réussit néanmoins à toucher l’adversaire. Son sang, épais et noir, coula sur le sol. Mais ce n’était pas une égratignure qui allait coûter la victoire à cet enfoiré. Le démon lui arracha sa faux des mains et l’envoya valser à travers la pièce. Elle blessa grièvement Taesch avant de se planter dans le sol. Epuisé et désarmé, Yvan n’eut d’autre choix que de se laisser soulever par la gorge. Il était fort, très fort. Il le tenait à bout de bras, empêchant le prince noir de lui porter le moindre coup. C’était perturbant de se voir grimaçant ainsi, il était certain de ne jamais avoir eu une expression pareille.

« C’est très gentil de m’avoir invité à l’intérieur des murs du pouvoir. Vous êtes tous extrêmement stupides.»

Il repoussa les assauts désespérés des autres, puis écrasa Yvan au milieu du pentagramme. Le démon récupéra un peu de son propre sang de la blessure que lui avait infligée le Général et secoua ses doigts pour en éclabousser le dessin. Quatre démons à l’air visqueux surgirent des Enfers. Ils furent rapidement libérés du pentagramme et errèrent un moment avant de prendre les formes respectives de l’Empereur, du Prince Consort, du Prince Héritier et du Prince Taesch. Après quoi, Yvan se sentit beaucoup trop léger et... immatériel. Ses blessures avaient guéries, mais quand il se releva, il remarqua que le sang utilisé pour tracer les runes d’invocation n’avait pas été déplacé sous ses mains.

« Au revoir, très chers. En consolation, sachez que le monde se souviendra encore longtemps de vous tous.»

Devancé de ses démons, le faux Yvan sortit de la salle d’invocation. Le faux Elijah était en train de rassurer la horde de Von Hochen qui patientait dans le couloir pour recueillir l’ennemi.

« Nous nous sommes débarrassés de lui, définitivement. Mais il vaut mieux garder cet endroit à l’écart quelques temps. Juste au cas où.»

La porte claqua, le son d’une clef tournée dans la serrure résonna dans la salle d’invocation comme le glissement du couperet sur la nuque. Yvan se jeta sur la poignée mais il ne réussi même pas à l’agripper. Quand il voulut se jeter sur la porte, son épaule rencontra un mur d’acier invisible qui fit craquer ses os. Il retenta de l’autre épaule, mais cela ne fit que hurler le métal de sa prothèse.

« Nous sommes foutus.»

La voix d’Elijah était lugubre et son visage celui de l’homme que l’on avait achevé. Yvan voyait dans ses grands yeux bleus la chute prochaine de l’Empire idéal qu’il avait commencé à élever.

« Il nous a enfermés ici et même si quelqu’un venait forcer cette porte, il ne nous verrait pas. Nous sommes réduits à l’état... D’esprits.»

Yvan, lui était décidé à ne pas abandonner. Ils n’étaient pas morts et cet endroit ne serait pas leurs limbes. Il se mit à fouiller la pièce. Pour faire bonne mesure, il donna un coup de pied à Aleister et lui ordonna de les aider. Il fut satisfait de constater qu’ils avaient au moins des effets les uns sur les autres.

« J’ai trouvé quelque chose,» annonça Yvan après quelques minutes.

Dans un coin, il y avait un portail. Ca ne semblait pas donner sur un endroit très joyeux, mais c’était déjà ça. Là-bas (où que puisse être ce là-bas) ils trouveraient peut-être un moyen de retourner chez eux avant que l’invocateur démoniaque ne ruine tout le travail qu’ils avaient accompli.

(FIN ?)