L’homme porc était très grand, bien plus grand que Harriet mais pas aussi grand que Konstantin. Il ne lui manquait pas grand chose mais ce n’était pas suffisant pour vraiment l’impressionner. Il fronça les sourcils, essayant de voir l’humain sous le maquillage mais c’était trop bien fait, comme le feu de tout à l’heure. Dans quelle merde s’était-il fourré ?  Il ne comprenait pas comment était arrivé là. En tendant la main vers les défenses de celui qui s’appelait Jambon, il fronça les sourcils.
“Qui es-tu ?” chuchota-t-il
Le porc s’ébroua comme un chien qui sortait de l’eau et Konstantin déglutit doucement, en essuyant la bave qui avait atteint ses doigts sur son jean. Il ne savait pas franchement s’il avait envie de se frotter à lui. A vrai dire, il ignorait même s’il pouvait le comprendre.
“Tu parles ?”
Le porc le regarda dans les yeux comme s’il comprenait ce qu’il disait mais, au final, ne fit rien de plus que de grogner.
Cette bête semblait répondre aux ordres de celui que la rousse avait appelé Milo. Il était définitivement à croquer, même si, de toute évidence, il aimait porter des robes. Ce n’était pas franchement un truc normal chez lui mais les hommes à la tête de porc non plus. Pareil à Orthros, le plus gros porc de l’internat, Jambon semblait fidèle et obéissant.
Le porc l’attrapa par le bras et commença à l’entraîner dans les cachots. Cet homme porc était parfaitement impressionnant. Il marchait comme un homme doué de raison. Et il semblait connaître le chemin.
“Montre moi tes prouesses, mon grand.
- Grumpf.”
Alors qu’il se faisait balader par ce monstre fabuleux, Konstantin apprit de la part de Milo qu’il allait être enfermé quelques temps. Qu’est-ce que ça voulait dire, quelques temps ? Ce n’était pas vraiment clair ou rassurant ces conneries.
Le cousin éloigné d’Harriet l’attira dans un escalier très grand et monumental. Ils s’enfonçaient sous terre. Konstantin le devinait aisément parce qu’il n’y avait plus aucune fenêtre et que tout était plus humide.
Alors que le porc se mettait à souffler sérieusement des naseaux, ils arrivèrent dans une pièce d’un mauvais goût certain. Le lac n’était pas plus rassurant. Il savait reconnaître une cellule solide depuis qu’il s’était fait coffrer pour tapage nocturne en quartier résidentiel. Tout ça pour quelques chants paillards. Franchement, il avait le don de s’attirer des emmerdes.
Un nouveau grognement et puis on le jeta dans une cellule ronde au dessus d’un lac vert nauséabond. Mais c’était injuste ! Il allait se décomposer juste à cause de l’air ambiant à ce rythme ! Il sentait déjà les volutes de cet endroit l’étouffer et l’acidité de l’air s’infiltrer dans ses poumons.
Le porc fut ordonné de ramener une petite laine à Milo - !!! Et lui alors ?!! - et il se tourna vers lui une dernière fois.
“Pas bouger.”
Konstantin s’accrocha aux barreaux de sa cage, la fascination prenant le dessus sur l’indignation de sa condition.
“Mais tu parles !
- Milo dire pas bouger.”
Puis il fut parti. Milo et lui restèrent seuls. Bon, ils n’étaient pas exactement d’égal à égal mais c’était toujours ça. Il était sûr que ces personnes étaient bonnes, même sans agir de cette façon. Il ne pouvait pas être tombé chez des fous psychopathes, ce serait trop de malchance.
Milo lui expliqua ensuite qu’il venait du monde des humains et la lumière se fit pour lui. Des fées, il était tombé chez des putain de fées ! Dans cette histoire, il était un putain d’humain envahisseur venu détruire leur monde avec son cochon. Selon eux en tout cas.
Et puis, il décida de remonter. Son familier ? Quel familier ? N’étaient-ce pas les sorcières qui apprivoisaient les chats pour ... peu importait, au final. Milo était parti et il se retrouva seul.
Deux minutes après le départ de Milo, une ombre apparut, sortant du lac vert. Loin d’avoir peur, Konstantin était près à en découdre. Quand la chose sourit, il secoua sa cage en s’accrochant aux barreaux.
“Tu veux te battre ? Viens !”
C’était peut-être une façon pour lui de pouvoir sortir de cet endroit pourri, même si ça signifiait devoir nager dans ce putain de lac pollué. Cela sembla impressionner la créature qui replongea dans le lac. Eh merde.
Il se passa cinq minutes et puis, lassé, Konstantin décida de piquer un somme. Il aurait bien le temps de voir ce qui se passerait plus tard.

FIN DE L’EPISODE 1

Konstantin se réveilla, encore un peu fatigué. A croire que d’avoir voyagé chez les fées l’avait parfaitement épuisé. Il fallait dire, aussi, qu’il avait dû courir après Harriet le porc comme il avait rarement couru. Il se contentait en général de marcher le plus calmement du monde. Un clic le fit relever les yeux. Un homme se tenait devant sa cage, désormais ouverte.
“Euh ... bonjour. Vous êtes avec eux ? Vous m’emmenez faire un tour ?”
L’homme avait le regard typique du mec qui disait ‘Je suis venu te dire adieu, fils de pute’, dans les films d’espionnage ou de mafieux. Konstantin ne s’en trouva pas spécialement rassuré. Il avait les yeux rouge et sa combi en lycra noir lui donnait un petit air de Batman. Il était très nettement bizarre mais, étonnamment, pas plus que la femme qui balançait du feu bleu ou l’homme cochon. L’homme recula pour le laisser sortir et Konstantin fit un pas hors de sa cage.
Il fronça les sourcils. Sa carrure et son odeur de feu lui rappelait quelque chose. Il ressemblait à ce serveur de chez Mathew’s, le bar à poivrots qui accueillait, semblait-il, la population totale de la Sibérie. Il fallait dire que les bars ne courraient pas les rues. Déjà qu’il y avait très peu de rues ...
“Galsworthy ? C’est vous ?”
L’homme lui fit signe de se taire en posant une doigt sur sa bouche - enfin, supposément parce que Konstantin ne discernait rien de son visage sous ce costume ridicule. Est-ce qu’il avait des trous pour respirer au moins ? Konstantin était presque sûr qu’il allait s’étouffer et tomber dans les pommes mais il partit d’un pas leste. Konstantin haussa les épaules. Il n’était plus à une bizarrerie près. Puisqu’il refusait de mourir dans l’eau, il opta pour les escaliers.
Il déboucha sur une sorte de cour intérieure abandonnée. Il y avait de l’eau, pas mal. Et des fleurs. C’était un endroit très agréable et paisible mais comme il ne souhaitait pas se faire prendre bêtement, Konstantin continua d’avancer. Dans le couloir qui remontait, il remarqua une sorte de plateforme pas franchement sécurisée et se demanda ce qui clochait chez ces fées. Finalement, en tentant de retrouver Miloslaw ou Harriet, il finit par percuter un homme qui accusa le coup puis se rapprocha de lui en se léchant les lèvres.
“Tu sens délicieusement bon. L'heure du repas est avancée ?
- Okay, donc toi tu es le dingue du cul, c’est ça ?
- E-eh !”
Konstantin opta pour la fuite. Il en avait connu pas mal des mecs comme lui, au Mariner’s Inn. Des mecs en manque après des jours en mer. Même si, bon, il n’avait pas l’air de revenir d’une expédition maritime. En retournant sur ses pas, il vit une fille à la démarche militaire se diriger vers l’extérieur. Okay, il était content de pas l’avoir croisée celle-là. Finalement, il tomba dans le garde manger. Il réalisa soudain qu’il mourait de faim et tendit la main vers un morceau de pain mais celle-ci fut interceptée.
“Eh bien, qu'avons-nous là ?”
Un jeune homme aux yeux bleus glacés et aux cheveux blancs en pétard lui tenait le poignet. Konstantin se dégagea mais l’homme ne cilla presque pas. Détail étrange, il avait des oreilles pointues.
“On a une petite faim à ce que je vois. Personne ne t'as appris que ce n'était pas bien de voler ?
- Et ta mère la pute, elle prend combien ?”
Le jeune homme aux cheveux blancs ne sembla pas s’énerver mais ses sourcils se froncèrent légèrement. Konstantin lui fit un doigt d’honneur.
“Qu’est-ce que tu fais ici?
- Je compte des champignons, trou du cul.”
Puis il attrapa rageusement le morceau de pain et mordit dedans avec joie. C’est là dessus qu’arrivèrent la folle au feu et Milo. Ah tiens ! Il le cherchait !
“Ce n'est pas vrai ! Encore toi ?”
Konstantin leva les yeux au ciel alors que la fille militaire, le dingue du cul et un homme encore jamais vu, entrèrent. C’était l’heure de grailler ou ils avaient été attirés par les hurlements de la rousse ?
“Mais enfin, qu’est-ce qu’il se passe ?”
Le mec aux lunettes avait l’air sage et réfléchi. Plutôt que de parler à la folle rousse, Konstantin se tourna vers lui.
“Est-ce que vous savez où est mon cochon ? Si je rentre sans lui, je vais me faire tuer.”
Il se retrouva ensuite avec un manteau dans les mains et il remercia poliment Miloslaw. Il le garda sur son bras. Il faisait bon ici ... et ça sentait le miel.

Si Konstantin avait été catholique, comme la moitié des garçons de son orphelinat perdu dans les montagnes, il aurait récité un pater noster parfait avant ce qui semblait être sa mort dans un futur proche. Mais Konstantin n’était pas religieux et sa famille ne l’avait jamais été. De plus, il ne se voyait pas mourir dans la prochaine décennie, ce qui lui laissait un temps non négligeable pour apprendre à prier les dieux de lui accorder une mort convenable.
“Cet humain s'est introduit dans la salle du cristal et le voilà à voler de la nourriture. Je le savais, c'est lui qui a volé le lait et le pain qui nous manquent.
- Je n’ai jamais volé de lait ! Arrêtez de m’accuser dans le vent !”
Le mec aux cheveux blancs avec les yeux de fouine s’avança et pointa un index accusateur vers lui. Il avait l’air d’être possédé.
“Mais tu avoues pour le pain !
- Euh, ça en fait c'est un petit du refuge. Je viens de le sermonner.”
C’était le garçon aux cheveux noirs qui avait parlé, celui qui semblait avoir un problème d’addiction au sexe. Est-ce que les fées pouvaient être nymphomanes, aussi ? La rousse sembla enfin s’apaiser et il remarqua qu’elle était très belle quand elle ne tentait pas de le condamner à mort.
“Ah ... d’accord.”
Elle semblait presque déçue qu’il ne soit pas un monstre cambrioleur de pain et de lait. De toute façon, il préférait la bonne viande bien juteuse rôtie au miel. Sa patrie lui manquait déjà et il aurait apprécié qu’on lui montre la porte de sortie, quand il aurait récupéré son cochon. Malheureusement pour lui, visiblement, les dieux - qui qu’ils soient - avaient d’autres desseins pour lui. La fille aux cheveux noirs avec un air autoritaire souleva un autre point et la rousse sauta sur l’occasion.
“Cependant, la salle d'alchimie a été cambriolée. Il manque une larme de dragon.
- Vous voyez ? Toi ! Rends nous la larme tout de suite !
- Quoi ?! Mais vous délirez, j’ai même jamais vu un dragon de ma vie ! Je savais même pas qu’ils pouvaient pleurer !”
Sa plaidoirie ne sembla pas convaincre la cheffe qui était bien décidée à lui pourrir la vie pour une raison qu’il ne comprenait pas. Sa tête ne lui revenait peut-être simplement pas. Ou bien, elle était du genre à détester ceux qui ne rentraient pas dans son petit moule parfait de fée.
“Remettez le dans sa cellule, il retrouvera peut-être la mémoire.”
Quoi ? Encore le cachot ? Non, il n’y retournerait pas, il en était hors de question ! Miloslaw essaya d’intercéder en sa faveur mais la rousse ne sembla pas apprécier.
“Ne prends pas ce ton avec ...
- Lukkrezia ? peut-être pourrions nous l'écouter ? S'il vous plaît ?
- Humph, comme vous voulez.  
- Parfait, alors dis nous tout, nous t'écoutons.”
Miloslaw exposa son plan, grâce à l’aide de l’homme à lunettes dont il ne connaissait toujours pas le nom. Il devrait apprendre sur le tas.
Lukkrezia - puisque c’était son nom - accepta cette proposition. Konstantin aimait bien Milo mais il le rendait mou et malléable et ce n’était pas exactement ce qu’il voulait. Quand il proposa de l’emmener en ville avec lui, Lukkrezia fronça les sourcils et s’y opposa formellement. Elle refusait qu’un simple humain de pacotille ne fréquente sa ville et n’effraie sa population.
“Écoutez, si vous vouliez juste me laisser aller en forêt chercher mon cochon - il est domestiqué, il va se faire dévorer là bas - je repartirai dans un de ces trucs de champignons.”
Le mec aux cheveux blancs rit et Konstantin décida qu’il ne pouvait pas plus le détester. Il avait une arrogance des plus immondes.
“Malheureusement, ça aussi c'est impossible. Les cercles ne fonctionnent que dans un sens.”
Que dans un sens ?! Cela voulait dire qu’il était coincé ici ? Il se sentit soudain extrêmement déprimé mais le mec aux cheveux blancs semblait bien décidé à ne pas le laisser tranquille.
“Comment t'es tu sorti de ta cage, au fait ?
- Quoi ? Un homme en noir avec un masque est venu m’ouvrir, je croyais que c’était un des vôtres.”
Et puis, ce fut le branle-bas de combat. Lukkrezia et le mec en blanc se mirent à jurer et ils semblaient tout à fait paniqués. Quoi, le mec bizarre en noir n’était pas des leurs ?
Lukkrezia s’en alla, suivie de la fille aux cheveux noirs. Bientôt, il ne resta plus dans la salle que Milo, le dingue du cul, , le mec insupportable aux cheveux blancs, celui aux lunettes et lui.
“ Eh Oncle Elijah, le petit m'a dit qu'il a caché les vivres quelque part mais je ne sais pas où. Tu chercheras pour moi, okay ?
- Ce ne serait pas plutôt à toi de t'en occuper, Roman ?
- Oh non, ce n'est pas dans mes attributions.”
Elijah ne semblait pas ravi de se retrouver avec une tâche aussi ingrate à accomplir mais il ne fit que pincer les lèvres quand son neveu (?) quitta la pièce le sourire aux lèvres. Petit con, donc, ce Roman, en plus d’être nymphomane.
Finalement, le mec aux cheveux blancs se manifesta.
“Je vais faire un inventaire en salle d'alchimie, on ne sait jamais. Ca ira pour toi, papa ?
- Oui, ne t'inquiète pas, Lucius.”
Donc Lucius était le fils d’Elijah ? Ils ne se ressemblaient définitivement pas et il commençait à se demander ce qui se passait dans cette famille étrange. Malgré son anxiété, il se sentit pousser des ailes. Si on lui donnait une mission, est-ce qu’on le laisserait aller dans la forêt pour chercher Harriet ?
“Je pourrais le faire. Les vivres. Avec Milo, naturellement.”